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Scène XIV

BARTHOLO, MARCELINE, LE COMTE, BRID’OISON, FIGARO, UN HUISSIER.
L’huissier, précédant le comte, crie :

Monseigneur, messieurs.

Le Comte.

En robe ici, seigneur Brid’oison ! Ce n’est qu’une affaire domestique : l’habit de ville était trop bon.

Brid’oison.

C’è-est vous qui l’êtes, monsieur le comte. Mais je ne vais jamais san-ans elle, parce que la forme, voyez-vous, la forme ! Tel rit d’un juge en habit court, qui-i tremble au seul aspect d’un procureur en robe. La forme, la-a forme !

Le Comte, à l’huissier.

Faites entrer l’audience.

L’huissier va ouvrir en glapissant.

L’audience !



Scène XV

Les acteurs précédents, ANTONIO, les valets du château, les paysans et paysannes en habits de fête ; LE COMTE s’assied sur le grand fauteuil ; BRID’OISON, sur une chaise à côté ; le greffier, sur le tabouret derrière sa table ; les juges, les avocats, sur les banquettes ; MARCELINE, à côté de BARTHOLO ; FIGARO, sur l’autre banquette ; les paysans et les valets debout derrière.
Brid’oison, à Double-Main.

Double-Main, a-appelez les causes.

Double-Main lit un papier.

« Noble, très-noble, infiniment noble, Don Pedro George, hidalgo, baron de los Altos, y Montes Fieros, y otros montes ; contre Alonzo Calderon, jeune auteur dramatique. » Il est question d’une comédie mort-née, que chacun désavoue et rejette sur l’autre. »

Le Comte.

Ils ont raison tous deux. Hors de cour. S’ils font ensemble un autre ouvrage, pour qu’il marque un peu dans le grand monde, ordonné que le noble y mettra son nom, le poëte son talent.

Double-Main lit un autre papier.

« André Petrutchio, laboureur ; contre le receveur de la province. » Il s’agit d’un forcement arbitraire.

Le Comte.

L’affaire n’est pas de mon ressort. Je servirai mieux mes vassaux en les protégeant près du Roi. Passez.

Double-Main en prend un troisième.
(Bartholo et Figaro se lèvent.)

« Barbe-Agar-Raab-Madeleine-Nicole-Marceline de Verte-Allure, fille majeure (Marceline se lève et salue) ; contre Figaro… » Nom de baptême en blanc.

Figaro.

Anonyme.

Brid’oison.

A-anonyme ! Què-el patron est-ce là ?

Figaro.

C’est le mien.

Double-Main écrit.

Contre anonyme Figaro. Qualités ?

Figaro.

Gentilhomme.

Le Comte.

Vous êtes gentilhomme ?

(Le greffier écrit.)
Figaro.

Si le ciel l’eût voulu, je serais fils d’un prince.

Le Comte, au greffier.

Allez.

L’Huissier, glapissant.

Silence, messieurs !

Double-Main lit.

« … Pour cause d’opposition faite au mariage dudit Figaro, par ladite de Verte-Allure. Le docteur Bartholo plaidant pour la demanderesse, et ledit Figaro pour lui-même, si la cour le permet, contre le vœu de l’usage et la jurisprudence du siége. »

Figaro.

L’usage, maître Double-Main, est souvent un abus. Le client un peu instruit sait toujours mieux sa cause que certains avocats, qui, suant à froid, criant à tue-tête, et connaissant tout, hors le fait, s’embarrassent aussi peu de ruiner le plaideur que d’ennuyer l’auditoire et d’endormir messieurs ; plus boursouflés après, que s’ils eussent composé l’Oratio pro Murena. Moi, je dirai le fait en peu de mots. Messieurs…

Double-Main.

En voilà beaucoup d’inutiles, car vous n’êtes pas demandeur, et n’avez que la défense. Avancez, docteur, et lisez la promesse.

Figaro.

Oui, promesse !

Bartholo, mettant ses lunettes.

Elle est précise.

Brid’oison.

I-il faut la voir.

Double-Main.

Silence donc, messieurs !

L’Huissier, glapissant.

Silence !

Bartholo lit.

« Je soussigné reconnais avoir reçu de damoiselle, etc… Marceline de Verte-Allure, dans le château d’Aguas-Frescas, la somme de deux mille piastres fortes cordonnées ; laquelle somme je lui rendrai à sa réquisition, dans ce château : et je l’épouserai, par forme de reconnaissance, etc. » Signé :