services d’argent presque toujours, qu’il s’était mis à même de pouvoir rendre en se mêlant de toutes ces sortes d’affaires où nous allons le voir tout à l’heure ; mais qui, le plus souvent, faute de restitution lui firent de chaque débiteur un ennemi. S’il faillit avoir, à peu de temps de là, un second duel, où son adversaire eût été M. de Sablière ; si plus tard il se brouilla avec M. de Lauraguais, d’abord un de ses meilleurs amis ; si Mirabeau lui garda rancune, et, comme nous verrons, le lui fit cruellement sentir ; enfin, si bien auparavant, au moment à peu près où nous sommes, il eut avec M. de Meslé, marquis de Faily, une affaire poussée assez loin, et qui pouvait l’être encore davantage, ce fut, chaque fois, pour quelque prêt d’argent, quelques avances plus ou moins vite réclamées, ou bien quelques garanties imprudemment données, et pour lesquelles il eut à faire de vifs reproches à ceux qui en avaient abusé.
Ce fut le cas de M. de Meslé. Beaumarchais s’était fait sa caution près de certaine demoiselle pour vingt et un mille francs de diamants, que le marquis trouva moyen de se faire livrer avant la conclusion complète du marché, et courut aussitôt revendre « à toute perte ». Lorsque Beaumarchais l’eut appris, et fut certain aussi que des 10,500 francs, moitié du prix, pas un sou n’avait été donné, malgré les conventions, et que la lettre de change promise pour le reste n’avait pas été signée, il fit sentir à M. de Meslé, par une lettre des plus vertes, ce qu’il y avait de peu délicat dans cette conduite qui compromettait si fort sa garantie.
Ils se rencontrèrent à quelques jours de là dans le foyer de la Comédie, et s’expliquèrent si vivement qu’il fallut sans retard aller dégainer auprès. Le marquis, fort peu brave, s’y refusait, sous prétexte qu’il n’avait qu’une épée de deuil. Beaumarchais lui fit voir qu’avec « sa petite épée d’or » il n’était pas mieux armé, et, bon gré, mal gré, l’entraîna sous un réverbère près de la fontaine de la rue d’Enfer, où, après quelques passes, il lui fit une légère éraflure à la poitrine. Le marquis cria que s’il avait sa bonne épée, les choses ne se passeraient pas ainsi : « Allez la chercher, et retrouvons-nous ici à onze heures, » lui riposta Beaumarchais, qui là-dessus le quitta et s’en alla souper chez la demoiselle aux diamants. Il y trouva M. de la Briche, introducteur des ambassadeurs, qui lui prêta l’épée plus sérieuse qu’il portait, et vite, sans attendre l’heure marquée pour la seconde rencontre, il courut chercher M. de Meslé à son hôtel : « Là, dit-il dans une lettre où toute l’affaire est racontée et qui fait partie de ses manuscrits à la Comédie française, là le cher marquis, tapi dans ses draps, me fit dire qu’il avait la colique, et qu’il me verrait le lendemain. Il vint en effet, et me balbutia quelques excuses que je le forçai de venir réitérer chez le prince Beloleski. notre ami commun : ce qu’il fit[1] . »
La demoiselle chez qui nous venons de le trouver est du monde qu’il voyait le plus alors, du moins à Paris. Déjà trop affairé pour s’occuper de passions de difficile approche, il s’en tenait à celles où l’on va vite, à l’amour tout fait, comme disait Caraccioli. Madame de Burman, cette charmante Fanny avec laquelle il eut une correspondance de quelques jours pour un portrait donné, repris et rendu[2], était une baronne de ce monde-là[3]. Beaumarchais y connut aussi de fort près mademoiselle Lacour[4], avec qui des rimes galantes, telles que certain Hommage du matin, que nous avons lu autographe[5], furent surtout sa monnaie courante ; puis encore mademoiselle La Croix de l’Opéra, qu’il avait
- ↑ Les lettres qui forment le dossier de cette curieuse affaire, dont M. de Loménie n’a pas parlé, se trouvent dans les papiers de Beaumarchais achetés à Londres, en 1863, pour la Comédie française.
- ↑ Catalogue des autogr. vendus le 3 janvier 1854, no 75.
- ↑ Goncourt, Portraits intimes du xviiie siècle, 1re série in-18, p. 49-56.
- ↑ Journal de M. de Sartine, p. 178.
- ↑ Catalogue des autogr. vendus le 31 janvier 1854, no 76.