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Scène XI

CHÉRUBIN, FIGARO, BASILE.
(Pendant qu’on sort, Figaro les arrête tous deux et les ramène.)
Figaro.

Ah çà, vous autres, la cérémonie adoptée, ma fête de ce soir en est la suite ; il faut bravement nous recorder : ne faisons point comme ces acteurs qui ne jouent jamais si mal que le jour où la critique est le plus éveillée. Nous n’avons point de lendemain qui nous excuse, nous. Sachons bien nos rôles aujourd’hui.

Basile, malignement.

Le mien est plus difficile que tu ne crois.

Figaro, faisant, sans qu’il le voie, le geste de le rosser.

Tu es loin aussi de savoir tout le succès qu’il te vaudra.

Chérubin.

Mon ami, tu oublies que je pars.

Figaro.

Et toi, tu voudrais bien rester !

Chérubin.

Ah ! si je le voudrais !

Figaro.

Il faut ruser. Point de murmure à ton départ. Le manteau de voyage à l’épaule ; arrange ouvertement ta trousse, et qu’on voie ton cheval à la grille ; un temps de galop jusqu’à la ferme ; reviens à pied par les derrières ; monseigneur te croira parti ; tiens-toi seulement hors de sa vue ; je me charge de l’apaiser après la fête.

Chérubin.

Mais Fanchette qui ne sait pas son rôle !

Basile.

Que diable lui apprenez-vous donc, depuis huit jours que vous ne la quittez pas ?

Figaro.

Tu n’as rien à faire aujourd’hui, donne-lui par grâce une leçon.

Basile.

Prenez garde, jeune homme, prenez garde ! le père n’est pas satisfait ; la fille a été souffletée ; elle n’étudie pas avec vous. Chérubin ! Chérubin ! vous lui causerez des chagrins ! Tant va la cruche à l’eau…

Figaro.

Ah ! voilà notre imbécile avec ses vieux proverbes ! Eh bien, pédant ! que dit la sagesse des nations ? Tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin…

Basile.

Elle s’emplit.

Figaro, en s’en allant.

Pas si bête, pourtant, pas si bête !


ACTE DEUXIÈME


Le théâtre représente une chambre à coucher superbe, un grand lit en alcôve, une estrade au-devant. La porte pour entrer s’ouvre et se ferme à la troisième coulisse à droite ; celle d’un cabinet, à la première coulisse à gauche. Une porte, dans le fond, va chez les femmes. Une fenêtre s’ouvre de l’autre côté.

Scène I

SUZANNE ; LA COMTESSE entre par la porte à droite.
La Comtesse se jette dans une bergère.

Ferme la porte, Suzanne, et conte-moi tout dans le plus grand détail.

Suzanne.

Je n’ai rien caché à madame.

La Comtesse.

Quoi ! Suzon, il voulait te séduire ?

Suzanne.

Oh ! que non ! monseigneur n’y met pas tant de façon avec sa servante : il voulait m’acheter.

La Comtesse.

Et le petit page était présent ?

Suzanne.

C’est-à-dire caché derrière le grand fauteuil. Il venait me prier de vous demander sa grâce.

La Comtesse.

Hé ! pourquoi ne pas s’adresser à moi-même ? Est-ce que je l’aurais refusé, Suzon ?

Suzanne.

C’est ce que j’ai dit : mais ses regrets de partir, et surtout de quitter madame ! Ah ! Suzon, qu’elle est noble et belle ! mais qu’elle est imposante !

La Comtesse.

Est-ce que j’ai cet air-là, Suzon ? Moi qui l’ai toujours protégé.

Suzanne.

Puis il a vu votre ruban de nuit que je tenais ; il s’est jeté dessus…

La Comtesse, souriant.

Mon ruban ?… Quelle enfance !

Suzanne.

J’ai voulu le lui ôter ; madame, c’était un lion ; ses yeux brillaient… Tu ne l’auras qu’avec ma vie, disait-il en forçant sa petite voix douce et grêle.

La Comtesse, rêvant.

Eh bien, Suzon ?

Suzanne.

Eh bien, madame, est-ce qu’on peut faire finir ce petit démon-là ? Ma marraine par-ci ; je voudrais bien par l’autre : et parce qu’il n’oserait seulement baiser la robe de madame, il voudrait toujours m’embrasser, moi.

La Comtesse, rêvant.

Laissons… laissons ces folies… Enfin, ma pauvre Suzanne, mon époux a fini par te dire…