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VIE DE BEAUMARCHAIS.

plus assuré ; et enfin, dans ses belles années, ce dont furent surtout frappées les femmes, « cette ardeur involontaire, a dit Gudin, qui s’allumait en lui à leur aspect[1]. »

Il savait trop ce qu’il avait de séduisant pour n’en pas user, même où il aurait dû l’oublier le plus. Quand plus tard même il dut cesser d’aller chez les filles du roi, sa disgrâce, à ce qu’il paraît, serait venue de là. On n’a là-dessus rien de bien certain ; et ce que disent les chansons du temps d’une « stupide frasque » qui l’aurait fait éconduire[2] ne fait soupçonner tout au plus qu’une inconvenance de familiarité, assez d’accord, au reste, avec ses allures mal corrigées par l’éducation. Quelques mots de lui, que Collé donne comme absolument authentiques, sont seuls un peu plus clairs. Collé vient de parler de l’accès que « ses petits talents » lui avaient donné chez Madame Adélaïde, l’aînée des filles du roi, et il ajoute[3] : « Il s’était mis si fort à son aise chez Madame de France, que M. de Saint-Florentin se crut obligé de lui écrire pour lui donner ordre de sortir de Versailles, et de n’y plus reparaître. S’étant établi depuis à Paris, on prétend qu’il a dit à quelqu’un qui lui demandait la cause de sa retraite de la cour : « Qu’il n’étoit pas étonnant que, jeune comme il l’étoit, point mal de figure, et partagé de nombre de petits talents, qui sont les délices des femmes, on n’ait craint que tout cela ne montât au bonnet de Madame Adélaïde. » On m’a assuré, continue Collé, que ces derniers mots étoient ses propres termes. »

Connaissant l’homme, ils ne nous étonnent pas trop, à l’époque surtout où Collé les lui prête, c’est-à-dire beaucoup plus tard, lorsque sa familiarité chez Mesdames, qui, malgré ce qu’il y mit d’aplomb, fut assez lente à établir, et ne lui demanda même pas moins de quatre ans de soins et d’assiduité[4], l’eut posé enfin près d’elles sur ce ton de liberté qui, une fois pris, monte si vite, lorsque le caractère y pousse, jusqu’à la complète hardiesse.

Au moment où nous sommes, il est loin d’en être là. Il n’a encore qu’un pied en cour, mais qu’il saura, il est vrai, pousser vite en avant. Il se sent tant d’assurance, et son désir d’arriver est si vif ! En 1755, l’année de sa dernière lettre au Mercure, il a déjà tâté des grands, il a parlé au roi, il a vu Mesdames, et, quoi qu’il en dise, l’horlogerie lui plaît moins. Il y est célèbre, pourtant, et, ce qui a bien son prix, il y est son maître. Depuis son succès, il a quitté la boutique paternelle, près de Sainte-Catherine, et s’est établi pour son compte un peu plus loin, dans la même rue Saint-Denis, près de celle de la Chanvrerie, en face de Saint-Magloire. Il est chez lui ; mais il aura vingt-quatre ans bientôt, et il étouffe entre « ces quatre vitrages[5]. » Combien une petite charge en cour, fût-ce la plus modeste, lui plairait mieux !

Un bon hasard, conséquence d’une bonne fortune, la lui procura. La femme de l’un des contrôleurs de bouche, M. Franquet, l’avait remarqué à Versailles ; et, pour entrer en connaissance, lui avait apporté, quelques jours après, sa montre à réparer. Elle était de dix ans au moins son aînée, mais fort avenante encore, riche d’ailleurs, et pourvue d’un mari chez qui l’âge, l’état maladif, et une jolie charge à acheter, car sa mauvaise santé menaçait de la lui interdire avant qu’il fût peu, étaient autant de chances et d’espérances pour Pierre-Augustin.

Quelques jours après, la maison de M. Franquet, rue des Bourdonnais, n’avait pas de visiteur plus assidu, et bientôt d’ami plus intime. Il fut aux petits soins pour le mari, à tel point que les mauvaises langues prétendirent plus tard qu’il s’était fait son laquais[6] ! En quelques mois il l’eut complètement gagné : Franquet, de plus en plus souffrant, lui vendait

  1. Notice inédite par Gudin, citée par Loménie, t. I, p. 83.
  2. Mémoires secrets, t. XXXV, p. 468.
  3. Journal, nouv. édit., t. III, p. 123.
  4. Loménie, t. I, p. 105.
  5. Lettre de Beaumarchais à son père, citée par Loménie, t. I, p. 141.
  6. Vie privée de Beaumarchais, p. 214.