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Rosine.

J’y monterai dans un moment.

Bartholo.

Puisque la paix est faite, mignonne, donne-moi ta main. Si tu pouvais m’aimer, ah ! comme tu serais heureuse.

Rosine, baissant les yeux.

Si vous pouviez me plaire, ah ! comme je vous aimerais.

Bartholo.

Je te plairai, je te plairai ; quand je te dis que je te plairai !

(Il sort.)



Scène XVI

ROSINE le regarde aller.

Ah ! Lindor ! Il dit qu’il me plaira !… Lisons cette lettre, qui a manqué de me causer tant de chagrin. (Elle lit et s’écrie.) Ha !… j’ai lu trop tard ; il me recommande de tenir une querelle ouverte avec mon tuteur ; j’en avais une si bonne ! et je l’ai laissée échapper. En recevant la lettre, j’ai senti que je rougissais jusqu’aux yeux. Ah ! mon tuteur a raison : je suis bien loin d’avoir cet usage du monde qui, me dit-il souvent, assure le maintien des femmes en toute occasion ! Mais un homme injuste parviendrait à faire une rusée de l’innocence même.


ACTE TROISIÈME


Scène I

BARTHOLO, seul et désolé.

Quelle humeur ! quelle humeur ! Elle paraissait apaisée… Là, qu’on me dise qui diable lui a fourré dans la tête de ne plus vouloir prendre leçon de don Basile ? Elle sait qu’il se mêle de mon mariage… (On heurte à la porte.) Faites tout au monde pour plaire aux femmes ; si vous omettez un seul petit point… je dis un seul… (On heurte une seconde fois.) Voyons qui c’est.



Scène II

BARTHOLO, LE COMTE, en bachelier.
Le Comte.

Que la paix et la joie habitent toujours céans !

Bartholo, brusquement.

Jamais souhait ne vint plus à propos. Que voulez-vous ?

Le Comte.

Monsieur, je suis Alonzo, bachelier, licencié…

Bartholo.

Je n’ai pas besoin de précepteur.

Le Comte.

… Élève de don Basile, organiste du grand couvent, qui a l’honneur de montrer la musique à madame votre…

Bartholo.

Basile ! organiste ! qui a l’honneur !… je le sais ! au fait.

Le Comte.

(À part.) Quel homme ! (Haut.) Un mal subit qui le force à garder le lit…

Bartholo.

Garder le lit ! Basile ! Il a bien fait d’envoyer : je vais le voir à l’instant.

Le Comte.

(À part.) Oh ! diable ! (Haut.) Quand je dis le lit, monsieur, c’est… la chambre que j’entends.

Bartholo.

Ne fût-il qu’incommodé ! Marchez devant, je vous suis.

Le Comte, embarrassé.

Monsieur, j’étais chargé… Personne ne peut-il nous entendre ?

Bartholo.

(À part.) C’est quelque fripon. (Haut.) Eh ! non, monsieur le mystérieux ! parlez sans vous troubler, si vous pouvez.

Le Comte.

(À part.) Maudit vieillard ! (Haut.) Don Basile m’avait chargé de vous apprendre…

Bartholo.

Parlez haut, je suis sourd d’une oreille.

Le Comte, élevant la voix.

Ah ! volontiers… que le comte Almaviva, qui restait à la grande place…

Bartholo, effrayé.

Parlez bas, parlez bas !

Le Comte, plus haut.

… En est délogé ce matin. Comme c’est par moi qu’il a su que le comte Almaviva…

Bartholo.

Bas : parlez bas, je vous prie.

Le Comte, du même ton.

… Était en cette ville, et que j’ai découvert que la signora Rosine lui a écrit…

Bartholo.

Lui a écrit ? Mon cher ami, parlez plus bas, je vous en conjure ! Tenez, asseyons-nous, et jasons d’amitié. Vous avez découvert, dites-vous, que Rosine…

Le Comte, fièrement.

Assurément. Basile, inquiet pour vous de cette correspondance, m’avait prié de vous montrer sa lettre ; mais la manière dont vous prenez les choses…

Bartholo.

Eh ! mon Dieu ! je les prends bien. Mais ne vous est-il donc pas possible de parler plus bas ?

Le Comte.

Vous êtes sourd d’une oreille, avez-vous dit.