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Rosine.

Mais s’il allait faire quelque imprudence, monsieur Figaro, il nous perdrait.

Figaro, à part.

Il nous perdrait ! (Haut.) Si vous le lui défendiez expressément par une petite lettre… Une lettre a bien du pouvoir.

Rosine lui donne la lettre qu’elle vient d’écrire.

Je n’ai pas le temps de recommencer celle-ci ; mais en la lui donnant, dites-lui… dites-lui bien…

(Elle écoute.)
Figaro.

Personne, madame.

Rosine.

Que c’est par pure amitié tout ce que je fais.

Figaro.

Cela parle de soi. Tudieu ! l’amour a bien une autre allure !

Rosine.

Que par pure amitié, entendez-vous ? Je crains seulement que, rebuté par les difficultés…

Figaro.

Oui, quelque feu follet. Souvenez-vous, madame, que le vent qui éteint une lumière allume un brasier, et que nous sommes ce brasier-là. D’en parler seulement, il exhale un tel feu qu’il m’a presque enfiévré de sa passion, moi qui n’y ai que voir !

Rosine.

Dieux ! j’entends mon tuteur. S’il vous trouvait ici… Passez par le cabinet du clavecin, et descendez le plus doucement que vous pourrez.

Figaro.

Soyez tranquille. (À part, montrant la lettre.) Voici qui vaut mieux que toutes mes observations.

(Il entre dans le cabinet.)



Scène III

ROSINE, seule.

Je meurs d’inquiétude jusqu’à ce qu’il soit dehors… Que je l’aime, ce bon Figaro ! c’est un bien honnête homme, un bon parent ! Ah ! voilà mon tyran ; reprenons mon ouvrage.

(Elle souffle la bougie, s’assied, et prend une broderie au tambour.)



Scène IV

BARTHOLO, ROSINE.
Bartholo, en colère.

Ah ! malédiction ! l’enragé, le scélérat corsaire de Figaro ! Là, peut-on sortir un moment de chez soi sans être sûr en rentrant…

Rosine.

Qui vous met donc si fort en colère, monsieur ?

Bartholo.

Ce damné barbier qui vient d’écloper toute ma maison en un tour de main : il donne un narcotique à l’Éveillé, un sternutatoire à la Jeunesse ; il saigne au pied Marceline : il n’y a pas jusqu’à ma mule… Sur les yeux d’une pauvre bête aveugle, un cataplasme ! Parce qu’il me doit cent écus, il se presse de faire des mémoires. Ah ! qu’il les apporte !… Et personne à l’antichambre ! on arrive à cet appartement comme à la place d’armes.

Rosine.

Et qui peut y pénétrer que vous, monsieur ?

Bartholo.

J’aime mieux craindre sans sujet, que de m’exposer sans précaution ; tout est plein de gens entreprenants, d’audacieux… N’a-t-on pas ce matin encore ramassé lestement votre chanson pendant que j’allais la chercher ? Oh ! je…

Rosine.

C’est bien mettre à plaisir de l’importance à tout ! Le vent peut avoir éloigné ce papier, le premier venu, que sais-je ?

Bartholo.

Le vent, le premier venu !… Il n’y a point de vent, madame, point de premier venu dans le monde ; et c’est toujours quelqu’un posté là exprès qui ramasse les papiers qu’une femme a l’air de laisser tomber par mégarde.

Rosine.

A l’air, monsieur ?

Bartholo.

Oui, madame, a l’air.

Rosine, à part.

Oh ! le méchant vieillard !

Bartholo.

Mais tout cela n’arrivera plus ; car je vais faire sceller cette grille.

Rosine.

Faites mieux ; murez les fenêtres tout d’un coup : d’une prison à un cachot, la différence est si peu de chose !

Bartholo.

Pour celles qui donnent sur la rue, ce ne serait peut-être pas si mal… Ce barbier n’est pas entré chez vous, au moins ?

Rosine.

Vous donne-t-il aussi de l’inquiétude ?

Bartholo.

Tout comme un autre.

Rosine.

Que vos répliques sont honnêtes !

Bartholo.

Ah ! fiez-vous à tout le monde, et vous aurez bientôt à la maison une bonne femme pour vous tromper, de bons amis pour vous la souffler, et de bons valets pour les y aider.

Rosine.

Quoi ! vous n’accordez pas même qu’on ait des principes contre la séduction de monsieur Figaro ?

Bartholo.

Qui diable entend quelque chose à la bizarrerie