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LE BARBIER DE SÉVILLE, ACTE I, SCÈNE IV.

mariée à un vieux médecin de cette ville, nommé Bartholo.

Figaro.

Joli oiseau, ma foi ! difficile à dénicher ! Mais qui vous a dit qu’elle était femme du docteur ?

Le Comte.

Tout le monde.

Figaro.

C’est une histoire qu’il a forgée en arrivant de Madrid, pour donner le change aux galants et les écarter ; elle n’est encore que sa pupille, mais bientôt…

Le Comte, vivement.

Jamais ! Ah ! quelle nouvelle ! J’étais résolu de tout oser pour lui présenter mes regrets ; et je la trouve libre ! Il n’y a pas un moment à perdre ; il faut m’en faire aimer, et l’arracher à l’indigne engagement qu’on lui destine. Tu connais donc ce tuteur ?

Figaro.

Comme ma mère.

Le Comte.

Quel homme est-ce ?

Figaro, vivement.

C’est un beau gros, court, jeune vieillard, gris-pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette, et furète, et gronde, et geint tout à la fois.

Le Comte, impatienté.

Eh ! je l’ai vu. Son caractère ?

Figaro.

Brutal, avare, amoureux et jaloux à l’excès de sa pupille, qui le hait à la mort.

Le Comte.

Ainsi ses moyens de plaire sont…

Figaro.

Nuls.

Le Comte.

Tant mieux. Sa probité ?

Figaro.

Tout juste autant qu’il en faut pour n’être point pendu.

Le Comte.

Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux…

Figaro.

C’est faire à la fois le bien public et particulier : chef-d’œuvre de morale, en vérité, monseigneur.

Le Comte.

Tu dis que la crainte des galants lui fait fermer sa porte ?

Figaro.

À tout le monde : s’il pouvait la calfeutrer…

Le Comte.

Ah ! diable, tant pis. Aurais-tu de l’accès chez lui ?

Figaro.

Si j’en ai ! Primo, la maison que j’occupe appartient au docteur, qui m’y loge gratis.

Le Comte.

Ah ! ah !

Figaro.

Oui. Et moi, en reconnaissance, je lui promets dix pistoles d’or par an, gratis aussi.

Le Comte, impatienté.

Tu es son locataire ?

Figaro.

De plus son barbier, son chirurgien, son apothicaire ; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur.

Le Comte l’embrasse.

Ah ! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur, mon dieu tutélaire.

Figaro.

Peste ! comme l’utilité vous a bientôt rapproché les distances ! Parlez-moi des gens passionnés !

Le Comte.

Heureux Figaro ! tu vas voir ma Rosine ! tu vas la voir ! conçois-tu ton bonheur ?

Figaro.

C’est bien là un propos d’amant ! Est-ce que je l’adore, moi ? Puissiez-vous prendre ma place !

Le Comte.

Ah ! si l’on pouvait écarter tous les surveillants !

Figaro.

C’est à quoi je rêvais.

Le Comte.

Pour douze heures seulement !

Figaro.

En occupant les gens de leur propre intérêt, on les empêche de nuire à l’intérêt d’autrui.

Le Comte.

Sans doute. Eh bien ?

Figaro, rêvant.

Je cherche dans ma tête si la pharmacie ne fournirait pas quelques petits moyens innocents…

Le Comte.

Scélérat !

Figaro.

Est-ce que je veux leur nuire ? Ils ont tous besoin de mon ministère. Il ne s’agit que de les traiter ensemble.

Le Comte.

Mais ce médecin peut prendre un soupçon.

Figaro.

Il faut marcher si vite que le soupçon n’ait pas le temps de naître. Il me vient une idée : le régiment de Royal-Infant arrive en cette ville.

Le Comte.

Le colonel est de mes amis.

Figaro.

Bon ! Présentez-vous chez le docteur en habit de cavalier, avec un billet de logement ; il faudra bien qu’il vous héberge ; et moi, je me charge du reste.

Le Comte.

Excellent !