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VIE DE BEAUMARCHAIS



Quand Beaumarchais disait, prenant pour devise un hémistiche du Mahomet de Voltaire : « Ma vie est un combat, » il disait vrai, mais il ne disait pas assez. Sa vie fut tout ensemble un combat et un tourbillon enveloppant, entraînant, mêlant tout, dans un conflit de faits et de choses, qui est peut-être, et nous allons le prouver, le plus étrange, le plus ondoyant, le plus divers, qui ait jamais agité une existence humaine.

Le caractère de l’homme fut toutefois plus étonnant encore que sa vie par la façon dont il s’y montra toujours, comme son Figaro, « supérieur aux événements ; » par sa ténacité, à l’invincible sourire, car son intrépidité toute française avait un peu de celle du Béarnais, dont un poëte[1] a dit : « Son courage riait ; » par sa verve surtout et par son esprit, qui furent, sans faiblir un instant, la chaleur et la clarté de cette fournaise ; enfin, par l’aplomb infatigable et la multiplicité de ressources qui, en tant de circonstances, le dégagèrent de l’imbroglio de sa vie, comme Figaro, son image et son reflet, bien plus encore que sa création, se dégage de l’imbroglio de sa comédie.

Beaumarchais n’était pas son nom. Il ne le prit qu’à vingt-cinq ans, quelques mois après son premier mariage, d’un « petit fief » que possédait sa première femme[2]. Il s’appelait Caron, et les prénoms qu’il reçut de son parrain, fils du fabricant de chandelles Picart, étaient Pierre-Augustin.

Il naquit à Paris, le 24 janvier 1732, chez son père l’horloger André-Charles Caron, dont la boutique, portant en grosses lettres le nom du maître à son plafond[3], s’ouvrait rue Saint-Denis, assez près de la rue des Lombards, entre l’hôpital Sainte-Catherine[4] et la rue de la Heaumerie.

Il vint ainsi au monde dans ce coin prédestiné, dans ce quartier, dont les Halles sont le centre, et d’où l’on peut dire que la meilleure part de notre théâtre comique est sortie.

Rappelez-vous, en effet : Molière est né rue des Vieilles-Étuves, au coin de la rue Saint-Honoré, à deux pas de ces piliers des Halles, où d’ailleurs son enfance se passa ; Regnard naquit sous les piliers mêmes ; Beaumarchais, rue Saint-Denis, dans la partie qui s’en rapproche ; et Scribe, enfin, dans la même rue aussi, et plus près encore : sa maison

  1. Sarrasin dans son Ode à Henri IV.
  2. Deux ans après ce premier mariage, et déjà veuf, comme nous le verrons, le 18 août 1758, il signait : « Caron de Beaumarchais » l’acte de mort de sa mère.
  3. Loménie, Beaumarchais et son temps, 1re édit., t. I, p. 116. Nous aurons bien souvent à citer cet excellent livre.
  4. Mercure de France, décembre 1753, p. 172.