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LES DEUX AMIS, ACTE II, SCÈNE XIV.

AURELLY.

Eh ! mon enfant, il se trouve un vide de cinq cent mille francs dans sa caisse, on ne sait ni comment, ni pourquoi. Je veux m’éclaircir : monsieur de Saint-Alban refuse le temps nécessaire.

PAULINE, effrayée.

Ah ! monsieur, si vous avez de l’estime pour nous…

SAINT-ALBAN, tendrement.

De l’estime !…

AURELLY.

Seulement jusqu’à demain, que je puisse découvrir…

PAULINE.

Jusqu’à demain, monsieur… Nous refuserez-vous cette grâce ?

SAINT-ALBAN.

Ah ! mademoiselle, je donnerais ma vie pour vous obliger ; mais mon devoir a des droits sacrés que vous ne pouvez méconnaître, vous qui remplissez si bien tous les vôtres.

AURELLY.

Différer d’un jour, est-ce une faveur incompatible…

SAINT-ALBAN.

N’abusez point de votre ascendant : il ne convient à ma mission ni à mon honneur que je vous écoute plus longtemps.

PAULINE, outrée.

Comme il vous plaira, monsieur ; mais j’ai assez de confiance en l’honnêteté de M. de Mélac pour croire qu’on se trompe à son égard, et qu’il n’aura besoin ni de l’appui de ses amis, ni des grâces de ses chefs.

SAINT-ALBAN.

Puissiez-vous dire vrai, mademoiselle ! mais, dans l’état où sont les choses, il n’est pas décent que j’accepte un logement dans cette maison. Pardon si je vous quitte.

AURELLY, avec chaleur.

Et moi je ne vous quitte pas, en quelque endroit que vous alliez.



Scène XIII


PAULINE, seule, dans l’accablement.

Qu’ai-je dit ?… Un trouble affreux m’avait saisie… Je ne l’ai pas assez ménagé… Ma frayeur a-t-elle trahi mon secret ?… Ô Mélac ! S’il avait lu dans mon cœur ! Quel mal j’aurais peut-être fait à ton père ! Il vient.



Scène XIV


PAULINE, MÉLAC fils.
MÉLAC fils entre d’un air transporté.

Pauline, Pauline, il faut que ma joie éclate à vos yeux.

PAULINE.

Votre joie !

MÉLAC FILS

Vous savez que rien ne m’intéresse, que ce qui peut nous rapprocher…

PAULINE.

Quel moment prenez-vous !… et quel ton !…

MÉLAC FILS

Dussiez-vous me traiter d’importun, d’audacieux, c’est celui d’un amant qui peut désormais vous offrir son cœur et sa main.

PAULINE.

L’un de nous est hors de sens.

MÉLAC FILS

C’est moi ! c’est moi ! la joie qui me transporte…

PAULINE.

La joie !

MÉLAC FILS

Votre oncle ne sort-il pas d’ici ?

PAULINE.

Tout ce que j’entends est si contraire à ses discours…

MÉLAC FILS

Il aura voulu vous inquiéter.

PAULINE.

M’inquiéter !… Comment !… Pourquoi m’effrayer ?

MÉLAC FILS

Ce n’est qu’un badinage obligeant.

PAULINE, avec dépit.

On n’en fait pas d’aussi cruel.

MÉLAC FILS

Quelle charmante colère ! Elle me ravit : elle me touche plus que ma survivance même.

PAULINE.

Je ne vous entends pas.

MÉLAC fils, vivement.

Ils n’ont rien dit !… La survivance, oui, je l’ai enfin : Saint-Alban nous en a remis l’assurance ; votre oncle, qui le savait, ne nous l’a caché que pour jouir de notre surprise. Dans l’excès de ma joie, je les ai quittés pour vous en apporter la nouvelle ; et depuis un quart d’heure je maudis les fâcheux qui m’arrêtent. Ah ! Pauline, au lieu de partager cette joie…

PAULINE, d’un ton étouffé.

Vous n’avez rien appris de plus ?

MÉLAC FILS

Non.

PAULINE, à part.

Je ne puis me résoudre à lui percer l’âme.

MÉLAC FILS

Vous pleurez, ma chère Pauline !

PAULINE.

Malheureux !… Vous veniez m’annoncer une nouvelle charmante, — il faut que je vous en apprenne une horrible.

MÉLAC FILS

On veut nous séparer ?