m’égare, au moins je serai seul à plaindre ; et, mon ami sauvé, mon malheur ne me laissera pas sans consolation.
Scène V
Le compte est-il juste, monsieur Dabins ? Dans le trouble où nous sommes, on se trompe aisément. Rappelons les articles, avant de nous séparer. Sept mille cinq cents louis en or que vous avez passés vous-même par le jardin.
Monsieur, le bordereau des sommes est en tête de ma reconnaissance.
« Je soussigné, caissier de monsieur Aurelly, ai reçu de monsieur de Mélac, receveur général des fermes, à Lyon, la somme de six cent mille livres… » Cela va bien ; disposez vos payements sans éclat, comme si vos effets eussent été négociés à Paris : moi, j’attends ma chaise pour partir.
Et vous insistez sur ce qu’il ne sache pas…
Quel que soit son danger, je le connais ; la crainte de me nuire lui ferait tout refuser.
Ainsi vous le quittez de la reconnaissance ?
Exiger de la reconnaissance, c’est vendre ses services : mais ce n’est pas ici le cas. Aurelly m’a souvent donné l’exemple de ce que je fais pour lui.
Oh ! monsieur ! votre vertu s’exagère…
Non, cher Dabins ; depuis trente ans que je lui dois mon état et mon bien-être, voici la seule occasion que j’aie eue de prendre ma revanche. Je quittais le service, où j’avais eu bientôt consumé le chétif patrimoine d’un cadet de ma province. Je revenais chez moi, blessé, réformé, ruiné, sans biens ni ressources. Le hasard me fit rencontrer ici ce digne Aurelly, mon ami dès l’enfance. Avec quelle tendresse il m’offrit un asile ! Il sollicita, il obtint, à mon insu, la place que j’occupe encore ; il fit plus, il vainquit ma répugnance pour un état aussi éloigné de celui que j’avais embrassé. « Prenez, prenez, me dit-il ; et si vous craignez que l’état n’honore pas assez l’homme, ce sera l’homme qui honorera l’état. Plus l’abus d’un métier est facile, moins il faut l’être au choix des gens qui doivent l’exercer : et qui sait, dans celui-ci, le bien qu’un homme vertueux peut faire ? tout le mal qu’il peut empêcher ? « Son zèle éloquent me gagna ; il m’instruisit au travail, il me servit de père. Ô mon cher Aurelly !
Vous m’avez interdit toute représentation.
N’ajoutez pas un mot. Les cent mille francs que vous tenez en lettres de change sont à moi : puis-je en user mieux au gré de mon cœur ? À l’égard du reste, Saint-Alban est en tournée pour trois mois… Aurelly aura le temps nécessaire…
Mais, d’un moment à l’autre, il peut vous venir tel ordre…
Je vous ai dit que je vais à Paris : j’y aurai bientôt recouvré les effets d’Aurelly ; j’en ferai de l’argent, si l’on m’en demande. Ce n’est ici qu’un bon office, comme vous voyez.
Monsieur, je vous admire.
Allez, mon ami ! qu’il ne vous retrouve point avec moi…
Scène VI
Ah ! respirons un moment. Cette nouvelle m’avait étouffé… Il riait, le malheureux homme, en regardant sa nièce. Chaque plaisanterie qui lui échappait me faisait frémir. (Il se lève.) Quand je pense qu’il était possible que cet argent m’eût été demandé ! au lieu de venir à son secours, il eût fallu lui annoncer… Ah ! dieux !…
Scène VII
Monsieur de Saint-Alban…
Eh bien ?
Il arrive.
Saint-Alban !
On le conduit ici. Je suis rentré pour vous sauver la première surprise.
Scène VIII
Saint-Alban !… Que ne suis-je parti ? S’il allait me parler d’argent ! au pis aller, je lui dirais… je pourrais lui dire que les receveurs particuliers n’ont