Ces nouvelles arrivent trop tard : l’objet de tant de larmes n’est plus en état de recevoir aucune consolation.
Non, non ! l’excès de la douleur seul a porté le trouble dans ses esprits.
Hélas ! nous n’espérons plus rien.
Craindriez-vous pour elle ? Ah ! laissez-moi me flatter que je ne suis pas si coupable. (D’un ton plus doux.) Eugénie, chère épouse ! cette voix qui avait tant d’empire sur ton cœur ne peut-elle plus rien sur toi ?
Dieux !… j’ai cru le voir…
Oui, c’est moi.
C’est lui !
L’ambition m’égarait, l’honneur et l’amour me ramènent à vos pieds… nos beaux jours ne sont pas finis.
Qu’on me laisse… qu’on me laisse…
Non, jamais. Écoutez-moi. Cette nuit, en vous quittant, le cœur plein d’amour pour vous et d’admiration pour un si noble ennemi (Il montre sir Charles en se levant), j’ai couru me jeter aux pieds de mon oncle, et lui faire un aveu de tous mes attentats. Le repentir m’élevait au-dessus de la honte. Il a vu mes remords, ma douleur ; il a lu l’acte faux qui atteste mon crime et vos vertus. Mon désespoir et mes larmes l’ont fait consentir à mon union avec vous : il serait venu lui-même ici vous l’annoncer : mais, le dirai-je ? il a craint que je ne pusse jamais obtenir mon pardon. Prononcez, Eugénie, décidez de mon sort.
C’est vous !… j’ai recueilli le peu de forces qui me restent, pour vous répondre… ne m’interrompez point… Je rends grâces à la générosité de milord duc… je vous crois même sincère en ce moment… Mais l’état humiliant dans lequel vous n’avez pas craint de me plonger… l’opprobre dont vous avez couvert celle que vous deviez chérir, ont rompu tous les liens…
N’achevez pas. Je puis vous être odieux, mais vous m’appartenez : mes forfaits nous ont tellement unis l’un à l’autre…
Malheureux !… qu’osez-vous rappeler ?
J’oserai tout pour vous obtenir. Au défaut d’autres droits, je rappellerai mes crimes pour m’en faire des titres. Oui, vous êtes a moi. Mon amour, les outrages dont vous vous plaignez, mon repentir, tout vous enchaîne et vous ôte la liberté de refuser ma main ; vous n’avez plus le choix de votre place, elle est fixée au milieu de ma famille : interrogez l’honneur, consultez vos parents ; ayez la noble fierté de sentir ce que vous vous devez.
Ce qu’elle se doit est de refuser l’offre que vous lui faites ; je ne suis pas insensible à votre procédé, mais j’aime mieux la consoler toute ma vie du malheur de vous avoir connu que de la livrer à celui qui a pu la tromper une fois. Sa fermeté lui rend toute mon estime.
Laissez-vous toucher, Eugénie ; je ne survivrais pas à des refus obstinés.
Cesse de me tourmenter par de vaines instances ; le parti que j’ai pris est inébranlable ; j’ai le monde en horreur.
Madame, je n’espère plus qu’en vous.
Je consens qu’elle vous pardonne, si vous pouvez vous pardonner à vous-même.
Vous avez raison ; celui qui s’est rendu si criminel est à jamais indigne de partager son sort. Vous n’ajouterez rien dont je ne sois pénétré d’avance… (À Eugénie avec plus de chaleur.) Mais, cruelle ! quand le ciel et la terre déposent contre mon indignité, aucun murmure ne se fait-il entendre dans ton sein ? et l’être infortuné qui te devra bientôt le jour n’a-t-il pas des droits plus sacrés que ta résolution ? C’est pour lui que j’élève une voix coupable : lui raviras-tu, par une double cruauté, l’état qui lui est dû ? et l’amour outragé ne cédera-t-il pas au cri de la nature ? (En s’adressant à tous.) Barbares ! si vous ne vous rendez pas à ces raisons, vous êtes tous, s’il se peut, plus inhumains, plus féroces que le monstre qui a pu outrager sa vertu, et qui meurt de douleur à vos pieds. (Il tombe aux pieds du baron.) Mon père !
Je vous la donne.
Eugénie !