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 imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le
cours ; que sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ;
et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits
écrits.--(il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me
met un jour dans la rue ; et, comme il faut dîner ; quoiqu’on ne soit plus
en prison, je taille encore ma plume, et demande à chacun de quoi il est
question ; on me dit que pendant ma retraite économique, il s’est établi
dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui
s’étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en
mes écrits, ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la
morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’opéra, ni
des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je
puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois
censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j’annonce un écrit
périodique, et croyant n’aller sur les brisées d’aucun autre, je le
nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s’élever contre moi, mille
pauvres diables à la feuille ; on me supprime ; et me voilà derechef sans
emploi ! --Le désespoir m’allait saisir ; on pense à moi pour une place ;
mais par malheur j’y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un
danseur qui l’obtint. Il ne me restait plus qu’à voler ; je me fais
banquier de Pharaon : alors, bonne gens ! je soupe en ville, et les
personnes dites comme il faut, m’ouvrent poliment leur maison, en
retenant pour elles les trois quarts du profit. J’aurais bien pu me
remonter ; je commençais même à comprendre que pour gagner du bien, le
savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais, comme chacun pillait autour
de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut