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Revenons à la Folle Journée.

Un Monsieur de beaucoup d’esprit, mais qui l’économise un peu trop, me
disait un soir au spectacle : Expliquez-moi donc, je vous prie, pourquoi,
dans votre pièce, on trouve autant de phrases négligées, qui ne sont pas
de votre style ? --De mon style, Monsieur ? Si par malheur j’en avais un,
je m’efforcerais de l’oublier quand je fais une comédie ; ne connaissant
rien d’insipide au théâtre comme ces fades camaïeux où tout est bleu, où
tout est rose, où tout est l’auteur, quel qu’il soit.

Lorsque mon sujet me saisit, j’évoque tous mes personnages et les mets
en situation : --Songe à toi, Figaro, ton maître va te
deviner, --Sauvez-vous vîte, Chérubin ; c’est le Comte que vous
touchez.--Ah ! Comtesse, quelle imprudence avec un époux si violent ! --Ce
qu’ils diront, je n’en sais rien ; c’est ce qu’ils feront qui m’occupe.
Puis, quand ils sont bien animés, j’écris sous leur dictée rapide, sûr
qu’ils ne me tromperont pas, que je reconnaîtrai Bazile, lequel n’a
pas l’esprit de Figaro qui n’a pas le ton noble du Comte qui n’a pas
la sensibilité de la Comtesse qui n’a pas la gaieté de Suzanne qui n’a
pas l’espièglerie du Page, et surtout aucun d’eux la sublimité de
Brid’oison ; chacun y parle son langage : eh ! que le dieu du naturel les
préserve d’en parler d’autre ! Ne nous attachons donc qu’à l’examen de
leurs idées, et non à rechercher si j’ai dû leur prêter mon style.

Quelques malveillans ont voulu jeter de la défaveur sur cette phrase de
Figaro : Sommes-nous des soldats qui tuent et se sont tuer pour des
intérêts qu’ils ignorent ? Je veux savoir, moi, pourquoi je me fâche ? À
travers le nuage d’une conception indigeste, ils ont feint d’apercevoir,
que je répands une lumière décourageante sur l’état