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 et dénigrer qui les offusque ? On tolère un si léger mal, parce
qu’il est sans conséquence, et que la vermine éphémère démange un
instant et périt ; mais le théâtre est un géant, qui blesse à mort tout
ce qu’il frappe. On doit réserver ses grands coups pour les abus et pour
les maux publics.

Ce n’est donc ni le vice ni les incidens qu’il amène, qui font
l’indécence théâtrale ; mais le défaut de leçons et de moralité. Si
l’auteur, ou faible ou timide, n’ose en tirer de son sujet, voilà ce qui
rend sa pièce équivoque ou vicieuse.

Lorsque je mis Eugénie au théâtre, (et il faut bien que je me cite,
puisque c’est toujours moi qu’on attaque) lorsque je mis Eugénie au
théâtre, tous nos jurés-crieurs à la décence jetaient des flammes dans
les foyers, sur ce que j’avais osé montrer un seigneur libertin,
habillant ses valets en prêtres, et feignant d’épouser une jeune
personne qui paraît enceinte au théâtre, sans avoir été mariée.

Malgré leurs cris, la pièce a été jugée, sinon le meilleur, au moins le
plus moral des drames ; constamment jouée sur tous les théâtres, et
traduite dans toutes les langues. Les bons esprits ont vu que la
moralité, que l’intérêt y naissaient entièrement de l’abus qu’un homme
puissant et vicieux fait de son nom, de son crédit, pour tourmenter une
faible fille, sans appui, trompée, vertueuse et délaissée. Ainsi tout ce
que l’ouvrage a d’utile et de bon, naît du courage qu’eut l’auteur
d’oser porter la disconvenance sociale au plus haut point de liberté.

Depuis, j’ai fait les Deux Amis, pièce dans laquelle un père avoue à
sa prétendue nièce qu’elle est sa fille illégitime : ce drame est aussi
très-moral ; parce qu’à travers les sacrifices de la plus parfaite
amitié, l’auteur s’attache à y montrer les devoirs qu’impose