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Monsieur, si le don de ma main n’avait pas dû suivre à l’instant celui de mon cœur, vous ne seriez pas ici. Que la nécessité justifie à vos yeux ce que cette entrevue a d’irrégulier.

LE COMTE. Vous, Rosine ! la compagne d’un malheureux sans fortune, sans naissance !…

ROSINE. La naissance, la fortune ! Laissons là les jeux du hasard, et si vous m’assurez que vos intentions sont pures…

LE COMTE, à ses pieds. Ah ! Rosine ! je vous adore !…

ROSINE, indignée. Arrêtez, malheureux !… vous osez profaner !… Tu m’adores !… Va ! tu n’es plus dangereux pour moi ; j’attendais ce mot pour te détester. Mais avant de t’abandonner au remords qui t’attend (en pleurant), apprends que je t’aimais ; apprends que je faisais mon bonheur de partager ton mauvais sort. Misérable Lindor ! j’allais tout quitter pour te suivre. Mais le lâche abus que tu as fait de mes bontés, et l’indignité de cet affreux comte Almaviva, à qui tu me vendais, ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre ?

LE COMTE, vivement. Que Votre tuteur Vous a remise ?

ROSINE, fièrement. Oui, je lui en ai l’obligation.

LE COMTE. Dieux, que je suis heureux ! il la tient de moi. Dans mon embarras, hier, je m’en suis servi pour arracher sa confiance ; et je n’ai pu trouver l’instant