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LETTRES DE VOYAGE

semblait regarder avec une sorte de terreur respectueuse, se tordait dans des crispations de démoniaque ; ses narines tremblaient, ses lèvres étaient bleues, les yeux lui sortaient de la tête, les muscles se tendaient sur son cou maigre comme des cordes de violons sur le chevalet ; des trépidations nerveuses agitaient son corps du haut en bas ; ses bras se démenaient comme les ressorts d’une machine détraquée, avec des mouvements qui ne partaient plus d’un centre commun, et auxquels la volonté n’avait pas part ; on le mettait debout, en le tenant sous les aisselles ; mais il se projetait si violemment en avant et en arrière, comme ces personnages ridicules qui font des saluts grotesques dans les pantomimes, qu’il entraînait avec lui ses deux assesseurs, et retombait bientôt à terre en se tortillant comme un serpent coupé, et en rauquant le nom d’Allah ! avec un râle si guttural et si strident, quoique bas, qu’il dominait les cris des khouans, les piaulements des femmes, et le trépignement des convulsionnaires. — Si jamais le diable est forcé de confesser Dieu, il le fera de cette manière.

« Mon œil se troublait, et ma raison s’embarrassait à regarder cette scène vertigineuse. La singulière sympathie imitative qui vous fait détendre les mâchoires en face d’un bâillement me causait sur mon tapis des soubresauts involontaires, je secouais machinalement la tête, et je me sentais, moi aussi, des envies folles de pousser des hurlements. Un cavalier de Maghzen, assis non loin de moi, n’y put résister plus longtemps, et roula sur la poussière avec des rires et des sanglots nerveux, se soulevant au rhythme pressé, saccadé, haletant des tarboukas, ronflant sous une furie de percussion toujours augmentée.