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située à l’endroit qu’occupe la vôtre, et votre figure m’est inconnue.

En disant ces mots, je le regardai en face, et j’observai pour la première fois les rayons étranges que produisaient les yeux de mon hôte ; on aurait dit les yeux d’un chat sauvage. Je reculai instinctivement mon siège en arrière, sous le regard pénétrant du vieillard qui me regardait en face, mais qui ne me répondait pas.

Le silence devenait fatigant, et mon hôte me fixait toujours de ses yeux brillants comme les tisons du foyer.

Je commençais à avoir peur.

Rassemblant tout mon courage, je lui demandai de nouveau son nom. Cette fois, ma question eut pour effet de lui faire quitter son siège. Il s’approcha de moi à pas lents, et posant sa main osseuse sur mon épaule tremblante, il me dit d’une voix triste comme le vent qui gémissait dans la cheminée :

« Jeune homme, tu n’as pas encore vingt ans, et tu demandes comment il se fait que tu ne connaisses pas Jean-Pierre Beaudry, jadis le richard du village. Je vais te le dire, car ta visite ce soir me sauve des flammes du purgatoire où je brûle depuis cinquante ans, sans avoir jamais pû jusqu’aujourd’hui remplir la pénitence que Dieu