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père et dans les épanchements de l’amour fraternel. La pauvre enfant ne pouvait retenir ses sanglots en songeant à ces temps où la figure blême du malheur ne s’était pas encore dressée, menaçante, devant elle, pour lui apprendre que l’heure de l’infortune avait sonné. Quels changements depuis l’époque où, heureuse et timide, elle avait entendu son fiancé Pierre balbutier, sur la grève de Lavaltrie, ses premières paroles d’amour.

Une lumière brillait encore à la fenêtre de la chaumière, lorsque le docteur passa, vers les deux heures du matin, pour se rendre au chevet d’un mourant. Le bon vieillard ne put s’empêcher d’éprouver un sentiment d’émotion en pensant aux épreuves terribles que Jeanne avait eu à subir depuis quelques jours, et il marmotta entre ses dents :

— Pauvre fille… pauvre fille… si jeune, si belle, si intelligente, et se voir forcée de prendre la route de l’exil pour en arriver à obtenir le pain de chaque jour sans demander l’aumône. Ah ! que les temps sont changés ! La force et l’espoir du Canada français s’envolent avec cette jeunesse qui prend la route de l’étranger pour fuir la pauvreté de la patrie !