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La pauvre Jeanne, de son côté, n’avait pas eu le courage de résister aux émotions violentes des derniers jours et la jeune fille abattue par la douleur et le manque de sommeil était tombée dans une torpeur qui faisait mal à voir. Elle vaquait avec indifférence aux soins du ménage, et la chaumière ne résonnait plus de ses chants joyeux. Ce n’est que lorsque ses yeux rougis par les pleurs se portaient sur la figure vénérable du vieillard, qu’elle sentait renaître en elle un sentiment d’espérance. Elle essayait alors de surmonter sa douleur pour l’amour de son père à qui elle se devait tout entière, mais le souvenir des chers absents venait malgré elle s’emparer de son âme, et les sanglots se faisaient jour à travers ses paroles de consolation. La pauvre enfant était tellement absorbée par ses peines, qu’elle n’avait pas remarqué que la santé du vieillard faiblissait visiblement depuis le départ de son fils. Son sommeil généralement si paisible était devenu agité et son appétit avait presque complètement disparu. À peine touchait-il du bout des lèvres ses mets favoris, et il devenait plus triste tous les jours. Le père Girard sentait bien, qu’à son âge, il y avait beaucoup à craindre de ces symptômes, mais il n’osait rien avouer à Jeanne de peur d’ajouter aux émotions de la jeune fille.