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par le voisinage d’un ours que les fumées de la cuisine avaient attiré à une mort certaine.

On se levait en se bousculant pour avoir l’honneur de lui donner le premier coup. On dédaignait les armes à feu ; la hache meurtrière du bûcheron était suffisante pour ces hommes de fer qui ignoraient le danger. Martin y laissait toujours sa peau, et quelque voyageur y gagnait quelquefois un coup de griffe.

Le printemps arrivait avec la fonte des neiges et la descente des billots.

On encageait[1] en chantant les refrains du pays ; on allait bientôt revoir ceux qu’on aimait et les cœurs bondissaient à la pensée du retour au foyer.

On « sautait » les rapides en bravant mille fois la mort, et le gousset bien garni et les mains remplies de cadeaux achetés en passant à Montréal, on tombait comme une bombe au milieu de la famille enchantée.

Les réjouissances duraient deux ou trois semaines. Venaient ensuite les récoltes.

On travaillait à aider les vieilles gens, et une fois les grains en sûreté, on reprenait en chantant la

  1. L’expression encager est une locution fort en vogue parmi les bûcherons canadiens : elle est dérivée du mot cage qui signifie : radeau, et dont on a fait encager c’est-à-dire : former des radeaux.