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Le repas terminé, Pierre embrassa tendrement sa mère après lui avoir annoncé son intention de s’absenter pendant quelques heures et lui avoir recommandé de ne pas s’inquiéter sur son compte. Le jeune homme, afin de ne pas éveiller les soupçons des employés de la ferme, avait pris un air d’insouciance qui s’accordait mal avec les sentiments pénibles qui l’agitaient. Aussi fut-ce avec un soupir de soulagement qu’il se dirigea vers la grève où il s’embarqua dans son canot d’écorce pour se rendre à Contrecœur. C’était là, maintenant, que se concentraient sa seule consolation pour les douleurs du présent, et ses projets d’espérance pour l’avenir. Il avait tout sacrifié pour l’amour de Jeanne : parents, richesses, amis. Son père dans un accès de ressentiment s’était même laissé aller à lui dire qu’il avait foulé aux pieds l’honneur de sa famille pour satisfaire un caprice d’amoureux. Pierre se sentait bien innocent de cette dernière accusation, mais l’habitude de l’obéissance à la voix respectée de son vieux père lui avait rendu ces paroles bien pénibles. Il avait rompu avec les espérances et les joies du passé pour se lancer vaillamment dans un avenir inconnu, guidé par le phare brillant de son amour pour Jeanne Girard. Il faudrait maintenant combattre pour deux, travailler pour deux, vivre pour deux ;