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Le type du voyageur[1] était si bien dessiné et les excentricités en étaient si bizarres, qu’il nous semble que c’était hier.

Chaque village littoral du Saint-Laurent depuis Montréal jusqu’à Québec, fournissait son contingent annuel à la brigade « des gens d’en haut ».

On partait vers la mi-septembre en canot d’écorce ; on remontait le fleuve en chantant gaiement, les refrains sur l’aviron. À Montréal, on achetait les haches de chantier et on prenait une « fête » avant de mettre la proue vers « Bytown », où se trouvait alors le rendez-vous des bons vivants :

« À Bytown, c’est une jolie place,
Mais il y a beaucoup de crasse ;
Il y a des jolies filles
Et aussi des polissons,
Dans les chantiers nous hivernerons,
Dans les chantiers nous hivernerons. »

Le premier soin, en arrivant à la future capitale du Canada, était d’aller faire son engagement pour l’hiver, et de retirer une avance de gages qui était ordinairement sacrifiée à Bacchus. Nos pères qui ne se piquaient pas de connaître leur mythologie,

  1. Le mot voyageur est employé ici, dans un sens tout canadien. On appelle « voyageur » au Canada, le bûcheron de profession qui se dirige chaque année vers les forêts du Nord et du Nord-Ouest, et le « Coureur des bois » qui fait la chasse et le commerce des fourrures.