Page:Bazin - La Terre qui meurt.djvu/41

Cette page n’a pas encore été corrigée

avec un sifflement doux, vent d’été, égal comme une marée. Les deux filles s’étaient assises au coin de la cheminée, pour achever de souper avec une pomme, qu’elles pelaient attentivement.

Mais l’esprit du métayer avait été mis en marche par la conversation avec le garde et par le mot qu’avait dit tout à l’heure Mathurin : « C’est trop cher à présent. »

L’ancien revoyait les années disparues, dont ses quatre enfants rassemblés là, témoins inégaux, n’avaient connu qu’une partie plus ou moins grande, suivant l’âge. Tantôt il considérait Mathurin, et tantôt François, comme s’il eût fait appel à leur mémoire de petits toucheurs de bœufs et pêcheurs d’anguilles. Il finit par dire, quand il eut l’âme trop pleine pour ne point parler :

— La campagne d’ici a tout de même bien changé, depuis les temps de M. le marquis. Te souviens-tu de lui, Mathurin ?

— Oui, répondit la voix épaisse de l’infirme, je me souviens : un gros qui avait tout son sang dans la tête, et qui criait, en entrant chez nous : « Bonsoir, les gars ! Le papa a-t-il encore une vieille bouteille de muscadet dans le cellier ? Va la quérir Mathurin, ou toi, François ? »