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sans les entamer, sur sa nature toute paysanne et sauvage, sur ses rêves de labour et de moisson, sur les habitudes de croyant qu’il tenait de sa race. Le mépris inné de la ville avait tout défendu à la fois. On avait dit en le revoyant : « L’aîné des Lumineau ne ressemble pas aux autres gars, il n’a pas changé. » Or, un soir qu’il avait conduit un chargement de blé, chez le minotier de Challans, il revenait dans sa charrette vide. Près de lui, assise sur une pile de sacs, il écoutait rire une fille de Sallertaine, Félicité Gauvrit, de la Seulière, dont il voulait faire sa femme. Les chemins commençaient à s’emplir d’ombre. Les ornières se confondaient avec les touffes d’herbes. Lui cependant, tout occupé de sa bonne amie, sachant que le cheval connaissait la route, il ne tenait pas les guides, qui tombèrent et traînèrent sur le sol. Et voici qu’au moment où ils descendaient un raidillon, près de la Fromentière, le cheval, fouetté par une branche, prit le galop. La voiture, jetée d’un côté à l’autre, menaçait de verser, les roues s’enlevaient sur les talus, la fille voulait sauter. « N’aie pas peur, Félicité, laisse-moi faire ! » crie le gars. Et il se mit debout, et il s’élança en avant, pour saisir le cheval au mors et l’arrêter. Mais l’obscurité, un cahot, le