Page:Bazin - La Terre qui meurt.djvu/13

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le paysan laissa tomber sa brassée de choux, et, tendant les deux poings :

— Menteur, il n’a pas pu dire ça ! Je le connais mieux que vous, et il me connaît. Et ce n’est pas à des gars de votre espèce qu’il donnerait des commissions pareilles ! M. le marquis me renverrait de chez lui, moi, son vieux Lumineau ! Allons donc !

— Parfaitement, il l’a écrit.

— Menteur ! répéta le paysan.

— Que voulez-vous, on verra bien, dit le régisseur en se détournant pour continuer son chemin. Vous êtes averti. Ce Jean Nesmy vous jouera un vilain tour. Sans compter qu’il courtise un peu trop votre fille, lui, un failli gars du Bocage. On en cause, vous savez !

Rouge, la poitrine tendue en avant, enfonçant d’un coup de poing son chapeau sur sa tête, le métayer fit trois pas, comme pour courir sus à l’homme qui l’insultait. Mais déjà celui-ci, appuyé sur son bâton d’épine, avait repris sa marche, et son profil ennuyé s’éloignait le long de la haie. Il avait une certaine crainte de ce grand vieux dont la force était encore redoutable ; il avait surtout le sentiment de l’insuccès de ses menaces, le souvenir d’avoir été désavoué, plusieurs fois déjà,