du bout de ses doigts. Depuis le matin, elle savait par cœur et se récitait à elle-même la lettre de Jean Nesmy. Le sourire ne quittait pas ses lèvres, si ce n’est pour monter à ses yeux. L’inquiétude était refoulée, oubliée : on l’aimait toujours, la petite Rousille. La lettre en faisait foi. Elle disait :
« Nous sommes tous en bonne santé, et c’est de même chez vous, je l’espère, quoique l’on ne soit jamais sûr quand on est si loin. Je me suis loué dans une métairie qui est sur un dos de colline, en sortant de la lande de Nouzillac dont je vous ai parlé. On a bien six clochers autour de soi, quand il fait beau, et je pense que, n’était la montagne de Saint-Michel, on apercevrait les arbres du Marais où vous êtes. Malgré ça, moi, je vous vois toujours devant mes yeux. Le samedi, d’ordinaire, je reviens chez la mère Nesmy, ainsi que mon frère, le plus grand après moi, qui s’est loué aussi chez des métayers de la Flocellière. Nous causons de vous, chez la mère, et je dis souvent que je ne suis pas si heureux que je l’étais avant de vous connaître, ou que je le serais, si tout le monde à la maison vous connaissait. Ils savent votre nom, par exemple ! Les plus petits et ma sœur Noémi, quand ils viennent le samedi soir à ma redevance, dans les chemins, crient, pour me faire rire : « As-tu des nouvelles de Rousille ? » Mais la maman Nesmy ne veut pas croire que vous ayez de l’amitié pour moi, parce que nous sommes trop pauvres. Si seulement elle vous voyait, elle comprendrait que c’est pour la vie. Et je passe mon temps de dimanche à lui conter comment c’était à la Fromentière.
« Rousille, voilà quatre mois que je ne vous ai vue, selon ce que vous m’aviez commandé. J’ai su seulement, à la foire de Pouzauges, par un du Marais qui venait acheter du bois, que votre frère André était rentré au pays, et qu’il travaille comme le métayer de la Fromentière aime qu’on travaille chez lui ; aussi je ne serai pas longtemps sans retourner vous voir. J’arriverai un soir, quand les hommes seront encore dehors, et que vous