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— Vous ne savez pas ce qu’elle voulait ? repartit vivement Mathurin : se marier avec notre valet, devenir la maîtresse de la Fromentière. Mais, moi, je veillais ! J’ai fait chasser le Jean Nesmy. Et je vous jure qu’il ne reparaîtra pas de sitôt à la maison. À présent…

Il baissa la voix, il se pencha, le bout de ses cheveux fauves toucha la pointe du bonnet blanc qui ne recula pas :

— À présent, si tu veux encore de moi, Félicité, c’est toi qui seras la maîtresse de la Fromentière !

Elle n’eut pas le temps de préparer une réponse. Elle se trouva debout. Le dernier refrain de la ronde avait fini dans un murmure d’étonnement. Un homme était entré, et s’était avancé dans la première chambre jusqu’au milieu. Il dépassait les groupes de toute sa tête blanche, coiffée du chapeau qu’il n’avait pas même touché du doigt en entrant. Ses vêtements étaient couverts de gelée. Sur le bras gauche, il portait un vieux manteau, une loque brune, qui pendait. Et, sévère de visage, les yeux demi-fermés à cause de l’éclat des lumières, il cherchait quelqu’un. Tous s’écartèrent devant le métayer de la Fromentière.

— Mes gars sont ici ? demanda-t-il.

— Oui donc, répondit une voix derrière lui. Me voici, père !

— Bien, Driot, fit l’ancien, sans se retourner. Je n’ai pas peur pour toi, quoique ça ne soit pas ici la place de mes enfants. Mais, en vérité, il gèle à croire que tout le Marais sera pris avant le soleil levant. Et Mathurin pourrait en mourir, blessé comme il est ! Pourquoi l’as-tu amené ?

Dans le silence de tous, le métayer parcourut du regard la grande salle. Un mouvement de quelques-uns des assistants lui désigna Mathurin au fond de la salle voisine. Le père aperçut l’infirme et, près de lui, celle qui avait été cause de tant de souffrances et de larmes.

— La garce ! murmura-t-il. Elle l’aguiche encore !

Et il fendit impérieusement les groupes, ses épaules rejetant les danseurs à droite et à gauche.

— Gauvrit, dit-il en saluant de la tête le bonhomme qui s’était levé et s’avançait en titubant, Gauvrit, ça n’est