médiocres, menacées ou sauvées. En cette saison d’hiver, c’étaient les guérets, les blés jeunes et les coins de luzerne qu’on étudiait. Et Toussaint Lumineau, qui n’avait pas réussi à prendre au passage et à emmener son André, confiait au métayer de la Terre-Aymont ou de la Pinçonnière, arrêté dans le même rayon tiède, à la cornière d’une pièce :
— Vois-tu, mon fils André est d’une espèce que je n’ai pas encore connue et qui ne ressemble pas à la nôtre. Ça n’est pas qu’il méprise la terre. Il a de l’amitié pour elle, au contraire, et je n’ai rien à reprocher à son travail de la semaine. Mais depuis qu’il est revenu du régiment, son idée, le dimanche, est dans la lecture.
Rousille aussi s’étonnait quelquefois. Elle avait trop à faire dans la maison pour s’occuper du travail ou des amusements des autres. Chargée du ménage, prise par les mille soins d’une ferme, elle ne voyait guère André qu’aux heures des repas, et devant témoins. À ces moments-là, André, soit par un effort de volonté, soit que la jeunesse fût plus forte que l’ennui et réclamât son heure, se montrait gai d’ordinaire, et insouciant. Il plaisantait volontiers Rousille et tâchait de la faire rire. Elle cependant, comme elle était femme et qu’elle souffrait, avait le don de deviner les souffrances des autres. Et à des signes bien légers, à des regards arrêtés sur les hautes vitres de la fenêtre, à deux ou trois mots qui auraient pu s’expliquer autrement, son âme tendre avait compris qu’André n’était pas tout à fait heureux. Sans en savoir davantage, elle l’avait plaint. Mais elle était loin de se douter de la crise que traversait son frère et du projet qu’il méditait.
Un seul de ces témoins de la vie avait pénétré les desseins d’André : c’était Mathurin. Il avait remarqué la tristesse grandissante d’André, l’inutile effort du jeune homme pour retrouver l’ancienne égalité d’humeur et la vaillance calme dans le travail quotidien. Il le suivait quelquefois aux champs ; il épiait à la maison l’arrivée du facteur et se faisait remettre les lettres et les papiers adressés à son frère. Les moindres détails restaient gravés dans sa mémoire songeuse, et en sortaient un jour, sous forme d’une question qu’il posait prudemment, avec une