Fatigué de ce repliement sur soi-même, André peu à peu laissa son esprit s’écarter hors du monde douloureux où il s’efforçait vainement de reconnaître la maison de sa jeunesse. Il était comme ces paysans des côtes, travailleurs taciturnes qui regardent la mer par-dessus les dunes, et que tourmente un peu de songe quand le vent souffle. Triste et touché par le malheur, il se rappela la science lamentable qu’il avait acquise au loin : il pensa qu’on peut vivre ailleurs qu’à la Fromentière, au bord du Marais de Vendée.
La tentation devint pressante. Deux mois après qu’il eut repris possession de la chambre où les deux frères couchaient autrefois, un soir que toute la métairie dormait, André se mit à écrire à un soldat de la légion étrangère, qu’il avait connu et laissé en Afrique : « Je m’ennuie trop, mon frère et ma sœur ont quitté la maison. Si tu sais une bonne occasion de placer son argent en terre, soit en Algérie, soit plus loin, tu peux me l’indiquer. Je ne suis pas décidé, mais j’ai des idées de m’en aller. Je suis comme seul chez nous. » Et les réponses vinrent bientôt. Au grand étonnement de Toussaint Lumineau, le facteur apporta à la Fromentière des brochures, des journaux, des prospectus, des plis qui étaient gros, et dont André ne se moquait pas, comme faisaient Rousille et Mathurin. Le père disait en riant, car il n’avait aucun soupçon contre André :
— Il n’est jamais entré tant de papier à la Fromentière, Driot, que depuis les semaines de ton retour. Je ne t’en veux pas, puisque c’est ton plaisir de lire. Mais moi, ça me lasserait l’esprit.
Le dimanche seulement, il lui arrivait de souffrir un peu de ce goût trop vif qu’avait son fils pour l’écriture et la lecture. Ce jour-là, presque toujours, après vêpres, il ramenait avec lui quelque vieux compagnon, le Glorieux de la Terre Aymont ou Pipet de la Pinçonnière, et ils allaient ensemble rendre visite aux champs de la Fromentière. Ils montaient et descendaient par les sentes pleines d’herbe, l’un près de l’autre, inspectant toutes choses, s’exprimant avec des signes d’épaule ou de paupière, échangeant de rares propos qui avaient tous le même objet : les moissons présentes ou futures, belles ou