bientôt. Des voix fortes, mal exercées, cinq ou six ensemble, entonnèrent le Chant du départ. Quelques mots arrivèrent jusqu’à la Fromentière : « Mourir pour la Patrie… le plus beau… d’envie… » Les autres se perdaient dans l’espace. Mais le bruit s’était rapproché. Les deux frères, immobiles sous le couvert des ormes, poursuivant chacun le songe où la première note l’avait jeté, écoutaient monter vers eux les conscrits de Sallertaine.
Quand ceux-ci eurent gagné le pré de la Fromentière, Mathurin, qui les suivait au bruit, depuis longtemps, et, avec son sens merveilleux d’observation, se rendait compte de leur route, dit à André :
— Ils se sont déjà arrêtés dans trois métairies. Je pense qu’ils font la quête de la classe. Tu n’as pas connu ça, toi ? Voilà deux ans seulement qu’ils ont eu l’idée de passer dans les maisons où il y a une jeune fille de leur âge, et ils lui demandent une poule pour se racheter du service. Rousille est du tirage… Tu devrais prendre une poule, que tu leur donneras, quand ils passeront.
— Je veux bien ! dit André en riant, et en se levant d’un bond. J’y cours. Et que font-ils des poules ?
— Ils les mangent, donc ! Ils font deux, trois, quatre dîners d’adieu. Dépêche-toi : ils arrivent.
André disparut dans la cour de la métairie. On entendit bientôt son rire clair, des pas précipités du côté de l’aire, puis les cris d’effroi d’une poule qu’il avait dû saisir. Quelques minutes plus tard il revint, tenant par les pattes l’oiseau, dont les ailes rondes, mouchetées de gris et de blanc, touchaient l’herbe et se relevaient au rythme de la marche.
Au même moment un coup de clairon retentit au bas du verger clos. Mathurin s’était à demi redressé sur la herse, et, les deux mains appuyées aux traverses, les bras tendus, sa tête ébouriffée en avant, il guettait l’arrivée des promeneurs. André se tenait debout à côté de lui. En face d’eux, juste dans l’ouverture du chemin qui descendait au Marais, le soleil se couchait. Son globe énorme, orangé par la brume, emplissait tout l’espace entre les deux talus, au sommet de la butte sans arbres.
Et voici que, dans cette gloire, trois filles apparurent. Elles montaient, enlacées, la plus grande au milieu,