quelquefois que la mort mettait bien du temps à achever ses victimes. Puis elle s’était ressaisie. En fille avisée, elle avait compris que l’opinion la liait, malgré elle, aux Lumineau, et que par eux seulement elle pouvait réaliser l’ambition qui la possédait : sortir de la Seulière, échapper à la domination de sa belle-mère, gouverner une grande ferme, être plus riche et plus libre qu’elle n’était chez elle. Elle qui n’avait jamais aimé, qui n’était qu’une créature de vanité, comme la campagne en a quelques-unes, elle s’était dit : « J’attendrai. Je ne retournerai pas à la Fromentière afin qu’on m’y regrette toujours plus. Un jour Mathurin viendra à moi ou il m’appellera. Je suis sûre qu’il ne m’a point oubliée. C’est une folie, mais qui me servira. Grâce à lui, je rentrerai chez eux, je les reverrai tous, le vieux qui se défie de moi, mais qui cédera, les jeunes qui m’aimeront, parce que je suis belle. Et j’épouserai François ou André. Je serai métayère, comme je devais l’être, dans la plus belle ferme de la paroisse. »
Or, François (qu’elle avait essayé de séduire), s’était dérobé, mais voici que Mathurin était venu à elle. Au prix de fatigues et de souffrances sans nom, il s’était traîné jusqu’à Sallertaine pour la saluer, publiquement. Et André, devant toutes les filles du bourg, avait dit :
— Voilà des temps que je ne vous ai vue : vous n’avez pas changé.
La belle fille avait cueilli un de ces iris jaunes qui poussent en grand nombre dans les fossés du Marais. A demi-rieuse, elle songeait à ce triomphe de tout à l’heure, la fleur pendante au coin de la lèvre, laissant baller ses bras qui, à chaque pas, frôlaient avec un murmure la moire du tablier. Le sourire s’en allait très loin comme le regard, à la vague limite des prés. Elle songeait qu’André ferait un joli mari, plus élégant que n’était, même autrefois, Mathurin ; qu’il n’avait du reste, qu’un an de moins qu’elle ; qu’il avait eu une manière plaisante, vraiment, et assez hardie de lui dire : « Vous n’avez pas changé. » Elle pensait aussi : « À la première occasion, je les inviterai à veiller chez nous. Je suis sûre qu’André viendra. »
Lentement, elle marchait, sur la levée raboteuse et ardente de soleil. Les grillons chantaient midi. L’odeur