de Mathurin Lumineau n’avait pas varié. Ses yeux sombres disaient tout cela, tandis qu’il s’approchait. Ils offraient en prière lamentable les longues souffrances de son corps et de son esprit, à celle qui les avait causées : mais ses forces le trahirent. Il devint d’une pâleur extrême, quand la belle fille, devant tout ce monde, lui dit la première :
— Bonjour, Mathurin !
Il ne put répondre. D’avoir vu sourire les lèvres pourpres de la Maraîchine, et d’être si près d’elle, et de l’entendre parler du même ton que s’ils s’étaient quittés la veille, il défaillait.
Il renversa un peu sa tête rousse, entre ses béquilles, vers Driot qui se trouvait en arrière. Le regard suppliait : « Emmène-moi ! » Le cadet comprit, et passa le bras sous le bras de son frère. Puis il répondit tout haut, pour donner le change, et distraire l’attention de la foule :
— Bonjour à vous-même, Félicité ! Voilà des temps que je ne vous ai vue : ça ne vous change pas.
— Ni vous ! dit-elle.
On entendit quelques rires, mais il y eut, dans le nombre de ceux qui étaient là, des âmes qui pleurèrent secrètement ou qui s’attendrirent. Quelques-unes des plus jeunes, parmi les filles de Sallertaine, s’émurent de pitié pour le malheureux qui s’en allait confus, épuisé, soutenu par le bras d’un autre ; elles plaignirent l’infirme qui n’obtiendrait jamais un amour comme celui que chacune d’elles, en son cœur, préparait et promettait au fiancé inconnu. L’une murmura :
— Il n’est pas malade seulement des jambes ; ça lui tient tout l’esprit !
Plusieurs femmes, des mères qui s’en retournaient avec leurs enfants, ralentirent la marche en voyant le groupe qui descendait vers la route de Challans : le vieux Toussaint, André et Mathurin, Marie-Rose en arrière. Elles se souvinrent, avec un frisson de peur, du magnifique adolescent qu’avait été l’infirme, et elles songèrent : « Pourvu qu’il n’en arrive point autant à nos fils qui grandissent ! »
Félicité Gauvrit commençait à s’émouvoir à son tour, mais d’une émotion différente. Après le départ des