passage des deux hommes : des lingères qui lissaient le linge en regardant dehors ; la petite modiste de Nantes, qui s’arrête au début de chaque saison pour prendre les commandes des dames de Challans ; des marchands aux portes des boutiques ; des paysans attablés dans les salles d’auberge ; tous amusés de voir un soldat ou flattés d’avoir un signe d’amitié des Lumineau. Mais la Rousse trottait si vite que le père n’avait pas le temps de se recoiffer entre deux coups de chapeau. Des mots suivaient la voiture dans le sillon d’air creusé par elle :
— C’est celui qui revient d’Afrique… Joli gars ! Ça lui va bien sa veste bleue… Et le vieux, ce qu’il est heureux !
Le métayer se serrait contre son gars reconquis. Lorsqu’ils furent au milieu de la dernière rue, le long d’une charmille qui semait des feuilles sur la route, il enfonça ses gros doigts dans sa poche, poussa le coude de Driot, pour lui faire remarquer les deux cigares d’un sou qu’il tenait entre le pouce et l’index. « Volontiers ! » dit le jeune homme. Il alluma le cigare, en ralentissant l’allure de la Rousse, puis, après quelques bouffées, comme les talus fleuris d’ajoncs, les champs pierreux, les ormeaux avec leur couronne commençaient à se montrer et l’enveloppaient de la douceur des choses connues, Driot, jusque-là un peu silencieux et fier à cause du monde, se mit à dire :
— Et tous ceux de chez nous, père, comment vont-ils ?
Un pli profond rida le front du métayer, entre les sourcils. Toussaint Lumineau se tourna un peu vers la campagne, troublé d’avoir à annoncer le malheur, et plus encore par l’appréhension de ce qu’allait penser le beau Driot.
— Mon pauvre gars, dit-il, il n’y a chez nous que Mathurin et Rousille.
— Et François, où est-il ?
— Figure-toi… Tu ne t’attends pas à ce que je vais te dire… Il a quitté la Fromentière, voilà quinze jours depuis hier, pour entrer dans les chemins de fer, à la Roche… Éléonore est partie avec lui… Il paraît qu’elle va tenir un café. Si tu crois !
— Vous les avez donc chassés ? fit le jeune homme en