jument. De là il voyait les rails fuyant vers la Roche, le chemin par où l’un de ses fils était parti, par où l’autre, tout à l’heure, allait rentrer à la Fromentière. Ce ne fut pas long. La locomotive se précipita en sifflant. Le métayer luttait encore contre la jument effrayée par le bruit, quand les premiers voyageurs sortirent : des bourgeois de Challans, des marins en congé, des marchandes de poisson venant de Saint-Gilles ou des Sables, enfin un beau chasseur d’Afrique, mince, la chéchia sur l’oreille, les moustaches blondes relevées, la musette bondée de choses, qui interrogea la cour d’un coup d’œil, eut un sourire, et accourut, les bras ouverts.
— Papa ! Ah ! quelle veine ! c’est papa !
Quelques témoins, indifférents, virent deux hommes qui s’embrassaient devant tout le monde, et se serraient à s’étouffer.
— Mon Driot ! disait le vieux. Que je suis content !
— Mais moi aussi, papa !
— Non, pas tant que moi ! Si tu savais !
— Quoi donc ?
— Je te raconterai ça. Mon Driot, que ça fait de bien de te revoir !
Ils se séparèrent. Le jeune soldat rajusta sa cravate, assura l’équilibre de sa chéchia qui tombait.
— En effet, dit-il, vous devez en avoir à me raconter, des choses, depuis le temps ? Des grandes peut-être ? Vous me direz tout peu à peu, à la Fromentière, en travaillant… Ça vaudra mieux que les lettres, n’est-ce pas ?
Il se mit à rire, en redressant sa tête blonde.
Le père n’eut que la force de sourire. Puis, se rapprochant de la voiture, montant à gauche, montant à droite, ils grimpèrent dans le tilbury, d’un même élan, comme s’ils avaient eu le même âge.
— Laissez-moi conduire ? demanda le fils.
Il prit les guides, et fit claquer sa langue. La Rousse dressa l’oreille, se cabra, mais pour jouer, pour montrer qu’elle reconnaissait son jeune maître, et, allongeant le trot, la tête haute, les yeux en feu, elle dépassa les deux omnibus vides qui avaient coutume de lutter de vitesse en revenant à l’hôtel. Dans les rues, ceux qui avaient déjà salué le métayer, et d’autres encore, attendaient le