Non, il ne l’était pas. La douleur, la fatigue d’errer, la faim qu’il ne sentait pas, avaient seulement exalté son esprit. N’ayant rencontré d’aide et d’appui nulle part, désespéré, il était revenu là, par instinct et par habitude, près de la porte du château où, tant de fois, il avait frappé avec assurance. Le temps avait disparu pour lui. Le métayer se plaignait tout haut au maître qui n’était plus là pour entendre : « Monsieur le marquis ! monsieur le marquis ! »
La jeune fille rejeta en arrière le capuchon qui lui couvrait la tête, et, debout, à deux pas de son père, elle dit très doucement pour ne pas l’effrayer :
— Père, c’est Rousille… Je vous cherche depuis une heure. Père, il est tard, venez !
Il tressaillit, et la regarda avec des yeux qui ne pensaient pas, et qui rêvaient encore.
— Figure-toi, répondit-il, que le marquis n’est pas là, Rousille ! Ma maison s’en va, et il ne vient pas me défendre. Il aurait dû revenir, puisque je suis dans la peine, n’est-ce pas ?
— Sans doute père, mais il ne sait pas, il est loin, à Paris.
— Les autres, Rousille, ceux de Sallertaine, ne peuvent rien pour moi, parce que ce sont des pauvres comme nous, des gens qui n’ont de commandement que sur leur métairie. J’ai été chez le maire, chez Guérineau, de la Pinçonnière, chez le Glorieux, de la Terre Aymont. Ils m’ont renvoyé avec des paroles. Mais le marquis, Rousille, quand il sera revenu ? Quand il apprendra tout ? Ce sera peut-être demain ?
— Peut-être.
— Alors, il ne voudra pas que je sois tout seul dans mon chagrin. Il m’aidera, il me rendra François ; n’est-ce pas, petite, qu’il me rendra François ?
Il parlait haut. Les mots s’en allèrent frapper la façade du château, qui les relança, plus doux, aux avenues, aux pelouses, aux futaies, où ils se perdirent. La nuit, toute pure, les écouta mourir, comme elle écoutait le frôlement des bêtes dans les buissons.
Rousille, voyant le père si troublé, s’assit près de lui, et lui parla un peu de temps, tâchant de trouver une