Le paysan s’arrêta donc, et suivit du regard la silhouette diminuante du garde. Il le vit passer l’échalier, du côté opposé à la barrière, sauter dans le chemin et disparaître à gauche de la ferme, dans les sentes vertes qui menaient au château.
Quand il l’eut perdu de vue :
— Non, reprit-il tout haut, non, le marquis n’a pas dit ça ! nous chasser !
En ce moment, il oubliait les mauvais propos que l’homme avait tenus contre Marie-Rose, la fille cadette, pour ne songer qu’à cette menace de renvoi, qui le troublait tout entier. Lentement, il promena autour de lui ses yeux devenus plus rudes que de coutume, comme pour prendre à témoin les choses familières que le garde avait menti. Puis il se baissa pour travailler.
Le soleil était déjà très penché. Il allait atteindre la ligne d’ormeaux qui bordait le champ vers l’ouest, tiges émondées, courbées par le vent de mer, terminées par une touffe de feuilles en couronne, qui les faisait ressembler à de grandes reines-marguerites. On était au commencement de septembre, à cette heure du soir où des bouffées de chaleur traversent le frais nocturne qui descend. Le métayer travaillait vite et sans arrêt, comme un homme jeune. Il étendait la main, et les feuilles, avec un bruit de verre brisé, cassaient au ras des troncs de choux, et s’amoncelaient sous la voûte obscure qui couvrait les sillons. Il était plongé dans cette ombre, d’où montait l’haleine moite de la terre, perdu au milieu de ces larges palmes veloutées, toutes molles de chaleur, que soutenaient des nervures striées de pourpre. En vérité, il faisait partie de cette végétation, et il eût fallu chercher, pour discerner le dos de sa veste dans le moutonnement vert et bleu de son champ. Il disparaissait presque. Cependant, si près qu’il fût du sol par son corps tout ployé, il avait une âme agissante et songeuse, et, en travaillant, il continuait de raisonner sur les choses de la vie. L’irritation qu’il avait ressentie des menaces du garde s’atténuait. Il n’avait qu’à se souvenir, pour ne rien craindre du marquis de la Fromentière. N’étaient-ils pas tous deux de noblesse, et ne le savaient-ils pas l’un et l’autre ? Car le métayer descendait d’un Lumineau de la