faisaient une ombre fine sur le talus. Devant eux, la jachère descendait en courbe régulière, hérissée d’herbes sèches et de fougères. Quatre haies dessinaient et fermaient le rectangle. Par-dessus celle du bas, on voyait les profondeurs du Marais, comme une plaine bleue sans divisions. Et le père, ayant fait sauter la cheville qui retenait le soc, rangea lui-même la charrue près de la haie de gauche, et la mit en bonne place.
— Reste là au chaud, dit-il à Mathurin. Toi, François, conduis bien droit tes bœufs. C’est un beau jour de labour. Ohé ! Noblet, Cavalier, Paladin, Matelot !
Un coup de fouet fit plier les reins à la jument de flèche ; les quatre bœufs baissèrent les cornes et tendirent les jarrets ; le soc, avec un bruit de faux qu’on aiguise, s’enfonça ; la terre s’ouvrit, brune, formant un haut remblai qui se brisait en montant et croulait sur lui-même, comme les eaux divisées par l’étrave d’un navire. Les bonnes bêtes allaient droit et sagement. Sous leur peau plissée d’un frémissement régulier, les muscles se mouvaient sans plus de travail apparent que si elles eussent tiré une charrette vide sur une route unie. Les herbes se couchaient, déracinées : trèfles, folles avoines, plantains, phléoles, pimprenelles, lotiers à fleurs jaunes déjà mêlées de gousses brunes, fougères qui s’appuyaient sur leurs palmes pliées, comme de jeunes chênes abattus. Une vapeur sortait du sol frais surpris par la chaleur du jour. En avant, sous le pied des animaux, une poussière s’élevait. L’attelage s’avançait dans une auréole rousse que traversaient les mouches. Et Mathurin, à l’ombre du cormier, regardait descendre avec envie le père, le frère, la jument grise, et les quatre bœufs de chez lui dont la croupe diminuait sur la pente.
— François, disait le métayer, réjoui de sentir battre dans ses mains les bras de la charrue, François, prends garde à Noblet qui mollit ! Touche Matelot !… La jument gagne à gauche !… Veille, mon gars, tu as l’air endormi !
Le cadet, en effet, ne prenait aucun goût à conduire le harnais. Il songeait qu’il fallait parler, et la peur de commencer lui tenait le front baissé. Ils tournèrent au bas du champ, et remontèrent, traçant un second sillon près du premier. Les cornes des bœufs, l’aiguillon de