aux murs de cette chambre déshabituée d’entendre des paroles à voix haute. Elle parlait pour elle-même, pour elle seule, parce qu’elle souffrait. Elle regardait devant elle, vaguement, sans s’occuper de la Michelonne. Celle-ci, pourtant s’était levée ; elle écoutait, tout son corps agité et soulevé, si bien prise aux paroles de Rousille, si bien emportée au dehors de son cercle restreint de pensées, que toute la paix avait disparu de son visage, et qu’une femme se retrouvait sous la vieille fille opprimée par la vie, une femme qui se souvenait et qui rajeunissait pour souffrir avec l’autre.
— Tu as raison, petite ; je t’approuve ; aime-le bien !
Rousille, à ce mot, baissa les yeux vers la Michelonne, et elle eut la révélation d’un être qu’elle ne connaissait pas. Le regard avait une flamme ; les pauvres bras, perclus de rhumatismes, se tendaient vers Rousille et tremblaient d’émotion.
— Oui, aime-le bien ! Ton bonheur est avec lui. Laisse faire le temps, mais ne cède pas, ma Rousille, parce que j’en connais d’autres qui ont refusé de se marier, dans leur jeunesse, pour plaire à leur père, et qui ont eu tant de peine, par la suite, à tuer leur cœur ! Ne vis pas seule, car c’est pire que la mort. Ton Nesmy, je le connais. Ton Nesmy et toi, vous êtes de vrais terriens, comme la campagne n’en a plus guère. Et si la vieille tante Adélaïde peut te servir, te défendre, te donner ce qu’elle a pour t’établir, viens me trouver, ma fille, viens !
Elle tenait maintenant Rousille embrassée, courbée sur son corsage noir. Et Rousille se laissait aller aux larmes, sur l’épaule de la Michelonne, à présent qu’elle avait tout dit.
La chambre fut un moment silencieuse comme le village tout entier, sous la lourde chaleur. Puis la Michelonne se dégagea doucement de l’étreinte de l’enfant, et s’approcha de la fenêtre, mais sans qu’on pût la voir du dehors. Un coin du Marais s’encadrait vers l’ouest, entre deux toits voisins, un angle dont les lignes fuyaient à l’infini dans l’herbe rousse.
— N’est-ce pas, demanda-t-elle à voix basse, c’est Mathurin qui t’a dénoncée ?