La cadette se leva aussitôt, et elle était si petite debout, qu’elle ne dépassait pas la tête de Marie-Rose assise. Prestement, elle secoua son tablier noir, sur lequel des bouts de fil s’étaient collés, embrassa la nièce sur les deux joues :
— Adieu, Rousille ! Demain tu n’auras qu’à revenir ici, ton argent y sera avec nous.
Dans la paix du bourg assoupi, on entendit descendre, le long de la ruelle, le pas glissant de Véronique.
Celle-ci n’avait pas plutôt disparu, qu’Adélaïde se rapprocha de Marie-Rose, et, pointant sur elle ses yeux toujours indulgents et clairs, mais dont les paupières, en ce moment, battaient d’inquiétude :
— Petite, dit-elle vivement, tu as du chagrin ? Tu as pleuré ? Tiens ! tu pleures encore !
La main ridée saisit la main rose de l’enfant.
— Qu’as-tu, ma Rousille ? Dis-moi comme à ta mère : j’ai de son cœur pour toi.
Marie-Rose retenait ses larmes. Elle ne voulait pas pleurer, puisqu’elle pouvait parler. Frissonnante au contact de la main qui touchait la sienne, les yeux brillants, ferme de visage, comme si elle s’adressait à tous les ennemis devant lesquels elle s’était tue :
— Ils ont renvoyé Jean Nesmy ! dit-elle en se levant.
— Lui, ma chère ? un si bon travailleur ! Comment ont-ils fait cela ?
— Parce que je l’aime, tante Michelonne ! Ils l’ont chassé ce matin. Et ils croient que tout sera fini entre nous parce que je ne le verrai plus. Ah ! mais non ! Ils ne connaissent donc pas les filles d’ici ?
— Bien dit, Maraîchine ! fit la Michelonne.
— Je leur donnerai tout mon argent, oui, je veux bien. Mais mon amitié, où je l’ai mise, je la laisserai. Elle est jurée comme mon baptême. Je n’ai pas peur de la misère ; je n’ai pas peur qu’il m’oublie. Le jour où il reviendra, car il a promis de revenir, j’irai au-devant de lui. Personne ne m’en empêchera. Quand il y aurait le Marais à traverser en yole, et de la neige, et de la glace, et toutes les filles du bourg pour rire de moi, et mon père et mes frères pour me le défendre, j’irai !
Debout, irritée, elle jetait son amour et sa rancune