— L’autre viande est trop chère, à présent, pas vrai ?
Toussaint Lumineau fronça le sourcil, au rappel de l’ancienne prospérité de la Fromentière, mais il dit sans se fâcher :
— En effet, mon pauvre Mathurin, l’année est dure et la dépense est grosse.
Puis voulant changer de sujet :
— Est-ce que le valet n’est pas rentré ?
Trois voix, l’une après l’autre, répondirent :
— Je ne l’ai pas vu ! Ni moi ! Ni moi !
Après un silence, pendant lequel tous les yeux se levèrent du côté de la cheminée :
— Il faut demander cela à Rousille dit Éléonore. Elle doit avoir des nouvelles.
La petite, à demi tournée vers la table, le reflet du feu dessinant sa silhouette, répondit :
— Sans doute, j’en ai. Je l’ai rencontré au tournant de la virette de chez nous : il va chasser.
— Encore ! fit le métayer. Il faudra pourtant que ça finisse ! Le garde de M. le marquis, ce soir, comme je serrais mes choux, m’a fait reproche de son braconnage.
— Est-ce qu’il n’est pas libre d’aller aux vanneaux ? demanda Rousille. Tout le monde y va !
Éléonore et François poussèrent un grognement de mépris, pour marquer leur hostilité contre le Boquin, l’étranger, l’ami de Rousille. Le père, rassuré par la pensée que le garde n’irait assurément pas troubler la chasse de Jean Nesmy dans le Marais, terre neutre où chacun pille, comme il lui plaît, les bandes d’oiseaux de passage, se pencha de nouveau au-dessus de l’assiette. François commençait à s’assoupir, et ne mangeait plus. L’infirme buvait lentement, les yeux vagues devant lui, songeant peut-être à la chasse qu’il avait aimée, lui aussi. Il y eut un moment de paix apparente. Le vent, par les fentes de la porte, entrait avec un sifflement doux, vent d’été, égal comme une marée. Les deux filles s’étaient assises au coin de la cheminée, pour achever de souper avec une pomme, qu’elles pelaient attentivement.
Mais l’esprit du métayer avait été mis en marche par la conversation avec le garde et par le mot qu’avait dit tout à l’heure Mathurin : « C’est trop cher à présent. »