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— Si, mon enfant.

— Alors, que me faut-il pour conduire la ferme ? des valets ? J’en louerai. Une métayère ?…

Le père n’osa pas dire oui.

— J’en amènerai une !

Mathurin s’était arrêté à l’angle de la table, et s’y tenait appuyé, le haut de son corps oscillant et luttant pour se maintenir en équilibre.

— Une qui a plus de cœur que vous tous !…

Elle sait que je guérirai… Elle m’a promis à peu près de se marier avec moi, comme je suis… Quand je l’aurai décidée…

— Ne te fie donc pas à ce que les filles te disent, mon pauvre gars. Il n’y a encore que les pères et les mères pour chérir ceux qui te ressemblent… Tu es malade, ce soir… Tiens, tes jambes mollissent… Couche-toi. Je vais t’aider.

L’infirme n’essaya pas de répondre. Ses yeux se voilèrent ; la tête s’inclina sur l’épaule ; les bras glissèrent sur l’appui des béquilles ; ils se levèrent tout droit, comme ceux d’un homme qui sombre et qui appelle. Mathurin serait tombé à la renverse, si le métayer ne s’était jeté en avant, pour le soutenir…

L’étourdissement ne dura pas. Ce ne fut qu’une alerte de quelques secondes. A peine couché sur le coffre, au bas de son lit, Mathurin rouvrit les yeux. Il regarda son père, se releva sans aide, et dit, en portant la main à sa nuque :

— Vous voyez, ça n’est rien… C’est la peine que vous m’avez faite… Je ne suis pas malade.

Toute colère avait disparu ; mais la douleur était la même au fond du regard, et il s’y mêlait cette sorte d’effroi que les hommes rapportent du voisinage de la mort.

— Veux-tu que je t’aide ? répéta le métayer. L’infirme haussa les épaules, et commença à se déshabiller lui-même, enlevant sa veste et la pliant sur le coffre.

— Non, je veux me coucher seul… Je veux être tranquille.

La voix tremblait comme les mains.

— Allez donc plutôt au-devant de Rousille… Elle a