— Ah ! vous mariez Rousille ?
— Oui, mon ami.
— Avec un valet que vous avez renvoyé !
— Je le reprends.
— Un Boquin ! Un homme qui n’est pas d’ici !
— Un bon travailleur, Mathurin, et qui a toujours aimé la terre de chez nous.
— Et il habitera la Fromentière ?
— Sans doute : j’ai besoin d’aide. Il me faut un fils :
La tête fauve de Mathurin sortit de l’ombre.
— Et moi ? cria-t-il, qu’est-ce que vous ferez de moi ?
Dans son regard, toutes les douleurs subies en silence, toutes les colères autrefois contenues passaient et jetaient leur reproche.
— Je n’ai donc qu’à souffrir et à faire la volonté des autres, moi qui suis l’aîné, moi qui ai le droit pour moi ?
— Mon enfant, dit doucement le père, tu vivras avec nous comme à présent ; tu feras ce que tu pourras et personne ne t’en fera reproche ; on n’entreprendra pas de travaux sans que tu aies donné ton avis, je te le promets ; tu ne quitteras pas la métairie, même après moi.
— Non, je ne serai pas commandé par un homme qui n’est pas de mon nom : il faut un Lumineau pour commander ici !
— C’est le chagrin de ma vie que tu dis là, Mathurin.
L’infirme continua avec la même violence :
— J’aurais supporté François, et même André. Mais Rousille avec son Boquin ne seront jamais les maîtres ici : je suis chez moi ! Et je vous dis que c’est mon tour !
— Mais, mon pauvre enfant, tu ne peux pas !
Les rideaux de serge remuèrent, et le malheureux, suffoquant de colère, fit deux pas, péniblement, puis deux autres.
— Je ne peux pas juger un labour ?
— Si.
— Je ne peux pas acheter une paire de bœufs ?
— Si.
— Je ne peux pas me faire porter en carriole, et yoler par moi-même ? Dites-le donc ?