Rousille pleurait à son tour. Toussaint Lumineau reprit :
— Va, ma Rousille… Salue bien les Michelonne… Dis-leur que c’est pour sauver la Fromentière.
Un souffle de voix répondit :
— Oui.
Rousille éleva les mains le long du cou de son père ; elle attira le vieux métayer, et l’embrassa. Puis elle s’écarta un peu, et, à travers l’ombre où ils ne pouvaient se voir, elle dit :
— Je suis heureuse, père. Je m’en vas chez les Michelonne… Mais que ça serait meilleur, si j’avais pu avoir tout notre monde à mes noces !
Et elle s’échappa dans la nuit, tandis que le père demeurait un moment, tout content et tout fier. Elle avait dit « notre monde », cette petite Rousille ; elle parlait comme les anciennes de sa race, qui avaient charge de la Fromentière ; elle ressemblait aux aïeules qu’elle n’avait pas connues, ménagères vigilantes, que l’on voyait ainsi, dès le jour de leurs fiançailles, heureuses et doucement inquiètes, emportant avec elles, comme un livre où l’on ne cesse plus de lire, la pensée de toute une famille et le souci de toute une ferme.
Rousille courait dans le chemin, et elle ne buttait pas contre les pierres. Il pleuvait, et elle ne sentait pas la pluie. Elle mettait quelquefois la main sur son cœur pour le calmer. Elle songeait : « Je suis heureuse » et cela la faisait pleurer.
Toutes les maisons de Sallertaine avaient leurs lampes allumées derrière les vitres, quand Rousille entra dans la longue rue. Mais les Michelonne craintives avaient déjà poussé le volet et mis le verrou.
— Oh ! dit-elle en frappant du poing, ouvrez donc vite, tantes Michelonne !
Véronique eut bientôt fait de tirer le verrou, d’ouvrir la porte et de la refermer aussitôt.
— Comme te voilà trempée, Rousille, s’exclama-t-elle, et sans cape ni mouchoir de tête par un temps pareil ! Sept heures viennent de sonner : qu’as-tu à courir les routes ?
L’aînée des sœurs prit la chandelle, l’approcha du