marier avec un Maraîchin comme nous, quelqu’un de notre condition et de notre pays. C’était peut-être de l’orgueil. Les choses n’ont pas tourné selon mon goût. Crois-tu que Jean Nesmy reviendrait bien à la Fromentière ?
— J’en suis sûre ! J’en réponds pour lui : il reviendra !
— La mère ne nous fera pas d’affront, au moins ?
— Non, non ; elle aime trop son fils ; elle sait tout… mais Mathurin !…
Elle étendit le bras en arrière, vers la maison cachée dans l’ombre.
— Mathurin ne voudra pas, lui ! Il nous déteste ! Il nous rendra la vie si dure que nous ne pourrons pas rester ici.
— Mais moi, je vis encore, ma petite, et je veux vous ramasser tous trois autour de moi !
Rousille avait-elle bien entendu ? Le père avait-il prononcé ces mots de fiançailles ? Oui, car il s’était dressé tout debout, et, en se relevant, il avait relevé son enfant. Il la retenait près de lui : il l’enveloppait de ses bras ; il pleurait ; il ne pouvait plus parler.
Cependant, pour avoir serré contre son cœur cette jeunesse heureuse, il reprit vite courage.
— Ne crains pas Mathurin, dit-il ; je le raisonnerai et il faudra qu’il obéisse. J’avais renvoyé Jean Nesmy. C’est ma volonté à présent qu’il revienne, pour être mon fils et mon aide, et le maître quand je n’y serai plus.
Dans l’ombre, la jeune fille écoutait.
— Je veux qu’il revienne le plus tôt possible, parce que les meilleurs valets ne font pas prospérer les maisons. J’ai pensé à tout pour toi, Rousille. Tu vas sortir d’ici, et aller droit chez les Michelonne.
— Oui, père.
— Ça me donnera le temps de parler avec ton frère. Tu iras donc chez les Michelonne, et tu leur diras : « Mon père ne peut pas quitter la Fromentière, et laisser Mathurin, qui n’est pas bien, ces jours. Il vous demande de partir pour le pays de Bocage, et de prier la mère de Jean Nesmy, afin qu’elle nous renvoie son gars qui sera mon mari. Plus tôt vous partirez, et mieux vous ferez. »