— Lionore, dit-il, après un peu de temps, et pendant que, penchée, elle taillait le pain pour la soupe, Lionore, tu as quitté la coiffe de Vendée ?
— Oui, on les repassait mal à la Roche. C’était cher. Et puis personne n’en porte ici, des coiffes.
— Eh bien ! depuis que tu ne t’habilles plus comme faisaient ta mère, ta grand’mère, et toutes les femmes de la famille que j’ai connues, es-tu plus heureuse ? Te plais-tu dans ton nouvel état ?
Elle continua de couper le pain par tranches menues, et répondit :
— Ça n’est pas le même travail, mais j’ai au moins autant de mal que chez nous, je ne peux pas dire le contraire. Il y a les chambres à faire ; le marché ; mon carreau à laver tous les deux jours, quand il pleut comme aujourd’hui, ou qu’il neige ; la cuisine à toutes les heures, et pour du monde qui n’est pas toujours poli, je vous assure. On se plaint quelquefois de ne pas voir assez de monde, parce qu’on l’a payé cher le café, beaucoup trop cher. Et puis, quand il vient des clients, des gens de la route qui demandent à boire, j’ai souvent peur d’eux. En vérité si je n’avais pas les voisins…
— Et ton frère, se plaît-il ? interrompit le métayer.
— À demi. C’est le paiement qui est trop petit, voyez-vous. Deux francs, à la Fromentière, sont plus que trois francs ici.
Le père hésita un peu. Puis il demanda, baissant la voix :
— Dis-moi : il regrette peut-être ce qu’il a fait ? Je n’ai plus de fils avec moi, Lionore ; je suis malheureux : penses-tu que François reviendrait chez nous ?
Il pardonnait ; il oubliait ; il appelait au secours ceux qui l’avaient offensé.
Éléonore changea subitement de physionomie. Elle essuya ses yeux, du coin de son mouchoir, secoua son chignon blond relevé en pointe, et dit sèchement :
— Je ne crois pas, père… J’aime mieux vous le dire tout de suite… Vous verrez mon frère… vous lui parlerez… mais je ne crois pas…
Et comme si on l’avait blessée, elle se détourna d’un geste brusque, du côté du fourneau.