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d’un cœur qui peut encore aimer ? Ils étaient fixés dans l’attention, comme ceux qui attendent le passage d’une noce sous les porches. Ils avaient les paupières levées, mais pas tout à fait, à cause de la lumière éblouissante et aussi de la fatigue.

Réginald et Félicien observaient ces physionomies peu mobiles, ces visages dont les rides changeaient de place cependant, lorsqu’une pensée un peu émouvante, un souvenir, montait clair, du fond de l’âme obscure. Ils comprenaient mieux, ils apercevaient nettement, que c’étaient non seulement des pauvres authentiques, mais des misérables, de ceux qui font plus peur que pitié : barbes taillées par le vent et usées par la pierre qui sert d’oreiller ; chemises sans col, redingotes qui furent portées par d’autres, et qui ont des couches superposées de taches de graisse ; foulards, malgré la chaleur, parce qu’on a sur soi toute sa garde-robe. Les deux larrons du Calvaire étaient peut-être là. Mais l’extrême abandon surtout, l’espèce qui n’a pas de pain, pas de gîte, pas de famille, et qui n’a plus de courage, veillait aux pieds du Maître deviné. Beaucoup de ces yeux