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ceux que je convoite se reculent toujours plus loin devant mes pas. Je suis chez moi partout où s’éveille une sensation d’inconnu, partout où me réclame un peu de mystère. Nulle paternité ne me parle plus en mes livres une fois leur zone explorée.

« Le jour où, résigné à me confiner, maître d’un lopin, dans mon enclos, je ne regarderai plus vers l’horizon, là-bas, qu’on ferme sur moi ma bière : les vers, comme un fromage, auront mangé ma cervelle[1]. »

(Mercure de France, mai 1897.)



Du Masque rouge


Le véritable Roi des Belges. On prétend même que l’ « autre » roi l’admire en cachette, loin de ses ministres falots. Puissant et poilu comme un dieu, avec une encolure de taureau mythique. Le poil est roux et rousse est la chair, de cette rousseur d’orge mûre que recherchait Rubens et qui enthousiasmait Delacroix. Derrière le binocle au large ruban, s’ouvrent des yeux candides, clairs comme des yeux d’enfant. Mais ces yeux-là ont vu toute la vie avec ses horreurs et ses enchantements. L’ensemble est d’un athlète qui n’aurait point l’orgueil de sa force, et qui accomplirait des besognes d’Hercule, en se jouant. Appartient à cette lignée de créateurs énormes auxquels les Flandres durent tant de miracles d’art. Adorateur passionné de la couleur. Robuste et délicat tour à tour, ayant « l’animalité humaine » d’un Rodin et le sensualisme lumineux d’un Renoir. Travaille en pleine pâte, grassement. Peint avec la même probité les chairs en rut et les âmes en dérive. Aussi ses livres sont-ils

  1. Dames de volupté, Esthétique.