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nouvelle. C’est ici que nettement et magnifiquement se décèle l’artisan d’avenir. Le simple et strict artiste qu’il est s’y fait l’annonciateur des vérités que promulgueront bientôt, les philosophes sociaux. Son instinct devance le travail des intelligences et s’associe au labeur des évolutions. L’Homme en Amour, Les Deux Consciences, ce sont là des œuvres sur quoi se fonderont les morales nouvelles, les assises où les réformateurs de demain étayeront leurs définitives formules. Car ces œuvres de beauté sont également des œuvres de vérité. L’ardent visionnaire d’avenir qui est en lui déjà se décèle aux pages de la vingtième année, où il énonce des conceptions jeunes, révolutionnaires, orientées vers le renouveau. Je ne puis m’étendre sur les significations sociales qu’enferment Happe-Chair et La Fin des Bourgeois, Le Vent dans les Moulins et Le Petit Homme de Dieu. Elles achèvent de déterminer l’orientation de cet esprit qui, par ses romans gros de conjectures, d’aspects d’un monde renouvelé, apparaît comme l’un des phares de la jeune humanité.

Il y a une évidente relation entre cette orientation franche et hardie de l’écrivain et la sourde hostilité de la Belgique envers lui. À considérer toutefois ce que Camille Lemonnier représente en son pays, ce déni de justice paraît inconcevable. Voyez plutôt. Il a récolté de la gloire pour sa patrie. Il est le père de toute une génération d’écrivains, travailleurs du champ que de sa rude main il défricha. Il fut l’éveilleur de toute une vie d’art et de modernité au pays belge. Il a glorifié sa terre en un livre admirable, répétant son adoration filiale dans tout le cours de son œuvre. Il s’est édifié une existence d’une dignité incomparable, tout entière vouée au labeur, simple et grande, sans orgueil, si ce n’est l’orgueil de sa probité d’artiste. Tout concourt à faire de lui une de ces individualités nationales en qui un peuple salue l’expression exaltée de lui-même…