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de tous les écrivains actuellement vivants, celui qui connaît le mieux la valeur et la vertu secrète des mots innombrables comme les vagues de la mer. Il les possède tous, depuis ceux qu’emploient, dans l’existence quotidienne, le paysan, l’ouvrier, la femme, l’enfant, le médecin, l’homme politique, jusqu’à ceux qui se cachent, comme des joyaux ignorés mais nécessaires, au fond de tous les arts, de tous les métiers, de toutes les sciences, de toute la vie enfin. Nul, en ce moment, je pense, n’a au même degré le don infaillible et suprême d’appeler les choses par leur nom… Il est au royaume du verbe, le berger qui mène le troupeau le plus vaste, le plus divers, le plus docile et le plus magnifique. »

Par cette métamorphose qu’il a fait subir à la langue, il prend place parmi les maîtres du verbe qui, de Gautier à Huysmans, s’efforcèrent de vaincre la rectitude un peu sèche de la forme française, en vue de créer un instrument nouveau, propre à redire l’immense variété des impressions de vie et de nature dont l’artiste d’aujourd’hui trouve en lui les correspondances.

Je suis reconnaissant à Camille Lemonnier de s’être fort peu soucié de philosophie. Les doctrines, les méthodes et les métaphysiques sont absentes de son œuvre. Il n’a été strictement qu’un artiste. Pourtant des intuitions, des conjectures, des presciences émanent de cette œuvre, nombreuses, significatives, claires, impérieuses. Retenu d’une part au sol par ses racines, il se manifeste en même temps un instinctif devineur d’avenir, une sensibilité orientée vers le futur. Il possède, si j’ose dire, l’infaillible flair des vérités prochaines. J’ai indiqué déjà quel sens profond se dégageait de la troisième partie de son œuvre, celle que domine l’idée de nature et d’une humanité se régénérant aux fontaines originelles de l’instinct. J’ai dit combien cette conception panthéiste du monde correspondait aux aspirations de la pensée