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lourde atmosphère et qu’il ait éprouvé l’envie violente de s’en évader ; Claudine Lamour, le roman qui suivit, exactement situé aux antipodes et comme art et comme sujet, m’en apparaît l’aveu. C’est le roman d’une étoile parisienne, reine de music-hall au masque transparent : œuvre très amusante, très vivante, d’une vision très aiguë, d’une très claire note impressionniste, volontairement exempte de dessous plus profonds. Après ces deux livres effroyablement noirs distillant l’horreur et la douleur, c’est là comme un sourire, l’heure de délassement, la halte : une vraie « surprise » dans l’œuvre du romancier, une coupe de Champagne parmi des mass de bière allemande. Avouerais-je que, quels que soient le charme capiteux et le parfum de vie de cette Claudine, je la range impitoyablement, avec La Fin des Bourgeois, parmi les œuvres de second plan ? Lemonnier fut mis au monde pour un autre destin que celui d’écrire des romans parisiens, fussent-ils très réussis comme celui-là. Il est bien possible qu’en écrivant Claudine Lamour il n’ait eu pour but, plus ou moins avoué, que de prouver l’adage « qui peut le plus peut le moins », et qu’en son opulente générosité d’art, en prodigue qu’il est, il se soit fait fort de montrer que lui, le puissant et le copieux, le charnel et le rubénien, l’homme des sèves et des terreaux, le gars poilu et musclé, l’héritier des peintres de sa race à la touche forte et grasse, pouvait, s’il le voulait, se faire léger, aérien, caresseur. Ceci du moins il l’a victorieusement prouvé.

L’Arche, au contraire, est comme un acheminement dans le sens de son moi essentiel, après les errances d’oie reviennent les forts. Livre singulier, pénétrant, tout en nuances, à la douce et chaude atmosphère. Le sous-titre « Journal d’une maman » résout l’énigme du titre. C’est le poème du foyer, du nid, du refuge familial, de la couvée qui grandit au giron de la mère : un livre délicieux de consolation et de réconfort i empli du courage et de l’amour de vivre